Time Crusaders [Black Knight]

New-York, 21ème année du second millénaire.
Plusieurs jours après la naissance du Céleste de Balasia V.
Au croisement de la 42ème Rue et de Madison Avenue se dresse l'iconique Baxter Building, le symbole de la recherche et de la science mise au service d'un futur radieux. Cette belle réputation n'est due qu'à une seule chose, pas des moindres: ses propriétaires. Les formidables Quatre Fantastiques, dont les découvertes révolutionnent sans cesse la manière que l'Humanité a de concevoir le monde qui l'entoure, habitent d'ordinaire ce haut lieu de Manhattan, lorsqu'ils n'explorent pas une nouvelle dimension bien sûr. Ce qui, depuis près d'une semaine déjà, est le cas.

Leur contact de confiance, l'incroyable Ant-Man Scott Lang, s'est vu confier la gestion de leur demeure le temps que durera leur mission aux confins de l'univers connu. Tous les codes de sécurité lui ont été remis, autant ceux des laboratoires de travail que ceux des espaces de vie. Mais lui aussi se trouve être un homme occupé, avec son héroïne de fille Stature, les aventures avec Nadia, celle d'Hank Pym et les missions des Avengers.

Ce qui laisse une quasi-totale liberté de mouvement au dernier locataire en date de cette véritable merveille du XXIème siècle: toi.

Après avoir clairement résolu la situation de Scott Lang, de Dane Whitman, de Nathan Summers et de Kevin Masterson entre Galactus et le Céleste de Balasia V, tu les as diligemment ramenés sur Terre grâce à l'un des portails dont tu as la maîtrise. Là, tu leur as fait part de ton histoire, de ta haine envers celui que tu es sans le vouloir, que tu deviendras peut-être, probablement, sûrement, et l'étrangeté de ton parcours jusqu'alors. A ta manière, tu as déjà défié une infinité de règles temporelles, faisant de toi... un paradoxe inaltérable.

Alors on t'a permis de rester ici le temps que Reed Richards, supposément ton ancêtre et le plus grand génie de son temps, ne revienne. Il t'a été alloué le minimum d'accréditations possible. Accès restreint à l'ascenseur, à ta chambre allouée, aux salles d'eau et à la cuisine bien évidemment. Par respect, et par calcul, tu as retenu un ricanement. Comme si ce système de sécurité primitif du deuxième millénaire après la naissance supposée d'un messie fantasmé allait t'arrêter.

Encore une fois, ton hypothèse s'est avérée correcte. A ceci près que tu as été extrêmement surpris des pièges retors glissés ci et là dans l'informatique, t'obligeant à adopter un style de hacking bien plus pointu que prévu. Un petit défi, ô combien satisfaisant dans la morne grisaille technologique rencontrée jusqu'alors dans cette New-York passéiste. Oh bien sûr, tu as conscience qu'à cet instant précis de l'histoire, il est normal que le niveau de développement soit inférieur au tien, mais... au fond de toi, tu regrettes de ne rien avoir eu de plus... exaltant auquel te confronter.

Le sentiment ne dure pas.

Car ce n'est pas par pure mesquinerie que tu t'es abrogé tous les droits au sommet du Baxter Building; tu n'as qu'admiration pour Reed et Susan Richards, Ben Grimm et Jonathan Storm. Ce sont des héros, des figures mythiques que ta propre époque a cherché à faire disparaître, tout comme Victor von Doom. Détourner leurs savoirs te crispe, t'ennuie, mais moins que de savoir cette saloperie de Kang le Conquérant en toute liberté d'agir. Tenter d'aspirer le pouvoir de Galactus pour devenir le Dévoreur de Temps n'est qu'une de ses nombreuses machinations. Tu en connais beaucoup, mais pas toutes. Alors pour le mettre hors d'état de nuire une bonne fois pour toute, tu as besoin du meilleur matériel à ta disposition. Tant pis si cela te vaudra la méfiance éternelle de la part d'une de tes idoles, tu es prêt à accepter ce fardeau pour le bien commun.
Car c'est de cela qu'il s'agit, évidemment. Le bien commun. L'établissement d'un futur serein. Le droit à une vie qui ne saura être écrasée par la tyrannie d'un maître du temps.

Une fois les systèmes de la Tour bien pris en main, et l'absence de Scott Lang définitivement actée, tu connectes ton armure neurokinétique aux innombrables capteurs solaires, sismiques, cosmiques, dimensionnels et temporels, et te voilà parti pour des heures et des heures d'études minutieuses à la recherche d'anomalies chronales répétées, de futurs ou de passés alternatifs artificiels ou d'inversion subite des flux tachyoniques.
La marque de Kang.


A ta demande expresse, le chœur de la messe de Requiem en ré mineur de Wolfgang Amadeus Mozart se met alors à enfler autour de toi: la grandeur céleste de Lacrimosa te fait lâcher un petit sourire bienheureux. Tu as toujours préféré travailler en musique, et ta soif de découvrir des compositeurs gravitant autour du XXIème siècle ne commence même pas à être désaltérée.

Une fois tes oreilles nourries de miel et d'ambroisie, tes yeux n'ont aucun mal à parcourir les pages et pages et pages de données que tous les appareils connectés analysent au fur et à mesure de tes commandes. Cela te prendra du temps, tu le sais, alors il est à espérer que personne ne viendra interrompre ce chantier pharaonique.

Personne.

- Je sais.

Dane Whitman le Chevalier Noir, porteur de la Lame d'Ebène, se glisse dans l'immense laboratoire en ami. Ami des Quatre Fantastiques, ami de Scott Lang, ami d'HERBIE... et ton ami en devenir, peut-être, malgré la mission qui t'incombe. Te voilà pris sur le fait. Gêné, embêté, mal à l'aise, oui. Mais pas repentant. Car ce que tu accomplis là relève de la nécessité.
Et puis oui, tu sais.

- Je sais que mon nom ne vous aide pas. Je sais que vous êtes méfiants. Je sais que je devrais me tenir à l'écart pour vous laisser... du temps. Je sais que ça, là, n'aide pas à me faire confiance. Et je sais calibrer ces appareils, merci. Au XXXème siècle, les enfants apprennent à surfer sur l'Omninet à l'aide de ce genre de technologies.

Tu es piqué au vif par les corrections du scientifique-guerrier. Tes actions sont mesurées, calculées, portées par des étapes précises au service de grands objectifs. Elles n'ont pas besoin de modifications, car tu as appris à être le meilleur des meilleurs dans un monde largement plus avancé que celui-là. Largement plus ennuyant, aussi. Toucher ces machines dans leur jus fait tout de même monter une certaine excitation, un plaisir que les meilleurs ordinateurs de ton époque ne sont plus capables d'apporter.

Alors, comme pour excuser ton excès de chauvinisme temporel, tu lâches en un soupir quelques mots élogieux:

- Elles restent impressionnantes, tout de même.

Ce que tu donnes d'une main, tu le reprends immédiatement de l'autre en ne te laissant pas démonter. Non, les règles que tu outrepasses ici ne vont pas te faire bien voir. Non, cela ne te réjouit pas. Non, tu n'imaginais pas ainsi tes premières rencontres avec les grands qui ont forgé le futur d'où tu viens. Cependant, tu n'as pas le choix. Trop de choses sont en jeu pour faire preuve de sentimentalisme.

Tout sûr de toi, tu n'arrives pourtant pas à croiser plus de quelques secondes le regard du Chevalier Noir. Les émotions s'agitent derrière tes yeux, dans ta gorge, dans ton cœur, dans tes tripes. Elles prennent le dessus, doucement mais sûrement.

- Mais ce que vous semblez oublier, c'est que chaque seconde est une balle de plus dans son chargeur, chaque minute une bombe prête à éclater, chaque heure une armée à sa disposition. Le Temps lui est soumis.

Lui, pour l'élimination duquel tu as accepté de voyager à la manière des mortels, grâce aux merveilles célestes de l'En Sabah Nur seigneur des Égyptes. Lui, qui hante ton esprit depuis qu'il a par deux fois arraché à ton cœur des êtres aimés. Lui, qui continue de te façonner par sa simple existence, par son simple nom.

- Je ne suis pas ici pour être l'ami des héros de cette époque, à mon grand regret. Je n'ai pas passé les cinq mille dernières années à attendre dans un sarcophage pour qu'il gagne encore en force !

De colère, tu interromps enfin tes recherches pour frapper sur la tablette à côté de toi, brisant le verre s'y trouvant. Une vive douleur vient éveiller ta main: des fragments brillants ont ouvert une plaie au creux de ta paume, duquel perle puis coule du sang. Un sang qui te calme, un sang qui t'amène à laisser ton esprit vagabonder un instant.


Tu détaches ton regard pour enfin tenir face à celui de Dane Whitman.
Ta main indemne vient chercher un morceau de tissu dans une de tes poches pour enrubanner sa sœur endolorie.

- Je le cherche, oui. Kang. Pour...

Te venger.

- ... l'empêcher de modeler à son image tout ce qui est, a été et sera.

Un silence se fait, ensuite.
Bien sûr que cela t'a traversé l'esprit. Bien sûr que tu penses le monde meilleur sans ce monstre. Mais tu mens, ici. Tu peines à avouer ton but, car tu es le héros de ton histoire. Ou en tous cas tu le seras. Parce que ton but est vertueux. Parce que ta vengeance n'est pas aveugle. Elle est précise, concentrée.

Mais pas aveugle aux petits plaisirs de la vie.
Dont la Chevauchée des Walkyries ne fait pas encore partie.
Tu fais la moue, et reprend l'analyse des données, stockées au fur et à mesure dans ton armure.

- Et évidemment que le Requiem est "sympa".

Tu n'es pas un adolescent.
Tu ne l'es plus, tout du moins. Plus depuis qu'on t'a tranché la gorge. Plus depuis que tu as découvert la bibliothèque de Victor von Doom. Plus depuis que Kang t'a embarqué dans ce drame permanent qu'est devenu ta vie. Le ton que prend alors Dane Whitman en s'approchant de toi, en te proposant de l'aide a de quoi crisper jusqu'au plus paisible des simples d'esprit. Ce que tu n'es pas. Mais pris sur le fait, tu ne bronches pas, même si ton regard aurait de quoi tuer s'il le pouvait, là.

Pourtant, à plusieurs reprises, ce Chevalier Noir en veste de cuir tellement démodée fait mouche. Ses propos touchent là où il faut, car lui aussi connaît Kang, lui aussi l'a affronté, lui aussi reconnaît que sous la peau de ce monstre se cache un guerrier de génie. Cela t'aide à te calmer. Tes émotions bouillonnantes s'apaisent, et enfin tu ressens la douleur de ta blessure à la main, plaie dont s'occupe également ton interlocuteur.

Un petit silence naît ensuite... rompu bien volontiers par un peu de douceur de ta part. De l'humour. En tous cas, ce que toi tu peux considérer comme de la douceur, celle qu'un guerrier peut offrir à un autre. Ainsi est le monde à tes yeux, pour le moment: des alliés, des ennemis, et ta cible ultime.

- Le rôle du bouffon vous... hmm... te siérait davantage, Dane Whitman. Les temps médiévaux sont davantage ton domaine que le mien. Pour le moment

Comment cela pourrait-il être différent ? Comment pourrais-tu être autre chose que maladroit dans ce genre de situation ? Jamais tu n'as entretenu de relations amicales, jamais tu n'as eu l'occasion d'approfondir de lien avec quelqu'un autrement qu'à travers le prisme de l'amour, ou de la haine. Tu n'es pas idiot, tu sais bien que ce genre de choses existe, tu as longtemps espéré y avoir droit... en vain. Le XXXème siècle est un monde difficile à regretter.

Alors ici, qu'il est difficile de parler de toi, de ne pas immédiatement te reconcentrer sur les données défilant à toute allure sur les différents écrans du Baxter Building. Le contact de la technologie t'est tellement plus agréable que celui des hommes. 1 ou 0, pas de chichi, pas de blabla. Mais c'est pour te sortir de ta zone de confort que tu as suivi celui qui est devenu ton plus grand adversaire.

Se taire, et laisser Dane Whitman dans l'ignorance serait comme retourner à ton point de départ. Hors de question. Alors tu prends sur toi, tu te dépasses, comme tu as si souvent su le faire. Tu conquiers ton malaise, de sorte qu'il ne se manifeste plus jamais.

- "Quatre mille cinq cent quatre-vingt seize ans" serait plus exact. Et il n'y a rien à dire, hormis que j'ai appris à la dure ce qu'est la patience. Et que je n'aime pas ça, au demeurant.

C'est peu, mais ton esprit tourne autour de ce qu'a pu dire le Chevalier Noir. Kang est un stratège hors-pair, et son champ de bataille est le Temps lui-même. Il avance ses pions, les place, bâtit et détruit selon sa convenance, pour triompher, pour conquérir. Mais quoi ? Mais où ? Mais QUAND ?

- Un moment marquant, donc. Quel moment irais-je choi...

Tu ne peux terminer ta phrase.

- AAAAARGH !

Un centième de seconde avant les machines ne s'activent, une douleur intense parcourt ton crâne, tes muscles et tes os. Les capteurs de la tour s'alarment un instant comme rarement elles se sont alarmées... puis plus rien.

Littéralement plus rien. Plus d'ordinateur, plus d'inventions miraculeuses, plus de forêt de câbles, rien d'autre qu'une immense pièce vide et désaffectée plongée dans le noir. En moins de dix secondes, le Baxter Building tout entier s'est vidé, pour ne laisser en son cœur que deux silhouettes, la tienne et celle de Dane Whitman.

Tu te remets lentement de la douleur, assez pour examiner les relevés de ton armure.

- Une vague d'énergie chronale de magnitude 9. Quelqu'un a touché à un point important du Tem...

Puis, une explosion.

Evidemment, une explosion.

Le toit est soufflé, pour laisser apparaître une sombre silhouette. Inconnue, sauf peut-être du Chevalier Noir à côté de toi, qui pourrait y reconnaître quelqu'un de familier, qui pourrait y reconnaître... Jackie Chopra. Ou plutôt Jackie Whitman. Sa fille.

- AINSI, IL N'A PAS MENTI À MON GRAND-ONCLE. VOUS ÊTES LÀ. PARFAIT !

Elle vous veut brisés, elle vous veut morts, elle vous veut détruit à ses pieds.

Cela se se sent, dans ses paroles et dans chacun de ses gestes.


Vêtue comme un Chevalier Noir, armurée, équipée, elle porte à la main, horreur, l'Epée d'Ebène normalement scellée depuis que Thunderstrike et The Wasp ont fabriqué à partir d'uru et de technologie une formidable toute nouvelle lame photonique. Qui va d'ailleurs avoir fort à faire pour parer l'abominable déferlement d'énergie que Jackie décharge... droit vers vous.