A boire et à venger [Black Knight]

Parmi les innombrables petites villes intermédiaires éparpillées aux quatre coins du pays, Erié fait figure de joyau. Surnommée depuis sa fondation "Gem City" grâce à la beauté de son immense lac, elle profite d'un placement privilégié entre deux grandes cités et, bien sûr, près de la frontière canadienne. Son climat, d'une douceur extrême, retient dans son filet ceux qui se risquent à s'y installer, au point d'accueillir près de cent mille âmes cette année.

Erié est un beau lieu de rencontres, oui, que l'on soit local, nouvel arrivant ou simple voyageur en quête de paix. Ce n'est donc pas étonnant que l'un des fugitifs les plus célèbres du monde y trouve asile, le temps d'un midi, le temps d'un repas chaud, le temps d'une discussion. Et pour cela, rien de mieux que le Barna Diner, aux frontières de la ville, haut lieu de petits déjeuners caloriques et repaire de routiers épuisés.

Les portions y sont copieuses, les prix bas, et si la qualité n'est pas toujours au rendez-vous, ce n'est pas grave: le sourire des serveuses y est contagieux, assez pour profiter d'une couche supplémentaire de cholestérol dans ses artères. En plus, ce jour, les milkshakes sont à moitié prix. Ce serait une folie de ne pas en profiter.


A la suite d'un groupe venu déjeuner en nombre, une silhouette se faufile par la porte vitrée, veillant à attirer le moins possible l'attention sur lui. D'ordinaire, ce genre de comportement attire l'oeil, tend à la méfiance, mais pas ici. Pas avec lui. L'homme, plus vieux qu'un minet mais tout de même moins qu'un ancien, paraît tellement simple, tellement normal qu'aucun regard ne daigne s'attarder dessus. Même lorsqu'il enlève sa casquette, dévoilant un visage fatigué, inquiet et peu entretenu mais doux, d'une douceur qui fait écho sans problème à celle d'Erié.


Il est 12h02. Bruce Banner s'est enfin installé à une table, après s'être encore une fois assuré des points stratégiques du lieu, après avoir vérifié qu'on ne le traquait pas. Ce serait presque une formalité aujourd'hui, s'il ne mettait pas encore tant d'énergie à vérifier qu'on ne l'espionnait pas. Pas de fainéantise lorsque sa liberté dépend du degré d'implication qu'on met à veiller sur ses arrières. A plusieurs reprises, son regard se balade d'un bout à l'autre de la salle, comptant avec minutie chacune des options à sa portée.

- Vous désirez quelque chose, sweetheart ?

Ces mots le sortent de son attente, et perturbent sa pensée.
La personne qui les a prononcés, une serveuse sachant jouer de son apparence pour avoir immédiatement l'air sympathique, l'observe de ses yeux noisette, dans l'attente d'une réponse. Avec un faible sourire, Bruce secoue la tête.

- J'attends un ami. Il ne devrait plus tarder. Merci.

Le joli brin de femme s'éloigne avec un sourire poli, pas embêtée pour un sou. Attendre dans un diner est monnaie courante, même s'il ne faudrait pas que le comparse de monsieur traîne trop: les bonnes places méridiennes s'évanouissent plus vite encore que les caisses de bière spécifiquement destinées au Wolverine sur Krakoa.

Dane Whitman. Le Chevalier noir.
Scientifique à la carrière impactée par une magie venue des temps médiévaux, guerrier au constant besoin de mesure car porteur d'une lame corrompue, leader peinant jusqu'alors à s'imposer en raison des ténèbres qui bouillonnent en lui. Instigateur de cette rencontre, aussi. Pour d'obscures raisons, le nouveau chef des Avengers a proposé de se voir à l'un des plus célèbres fugitifs du pays.

Ainsi le voilà dans ce dinner, le plus naturellement du monde, sans armes ni haine ni violence, comme promis. L'environnement est bruyant, mais tranquille et sécurisé. En plus, point assurément positif, aucun membre d'aucune agence gouvernementale connue ne les surveille à leur insu, Bruce s'en est assuré. Sans quoi, de toutes façons, il ne serait pas assis à cette table.

Plein de bonnes et belles manières, quoique un peu hésitantes, Whitman lance la conversation. Silencieux, son interlocuteur patiente, un bras posé sur la table, l'air neutre d'un bout à l'autre des explications. Puis, quand elles s'achèvent, il se fissure, laissant apparaître un timide petit sourire au coin de ses lèvres.

- Tu es très gentil, mais ne t'embête pas à prendre autant de pincettes. Si je ne pouvais pas supporter la moindre mauvaise nouvelle je resterais dans une grotte au fin fond du Nouveau-Mexique. A vrai dire, je l'ai déjà fait. Au début.

Paradoxalement, parmi tous les fondateurs originaux des Avengers, et hormis l'indétrônable Janet Van Dyne -quelle femme c'est, aussi !- Bruce Banner se trouve être le plus calme, le plus posé, le moins prompt à s'emporter. Quel malheur cela serait si ce n'était pas le cas... pour garder le Hulk à quai, il lui a fallu voyager, exercer sa volonté et apprendre des techniques de relaxation musculaire, de respiration et de méditation. Sans elles, il serait sans doute vert en permanence.

Sans elles, il aurait sursauté lorsque Erika la serveuse a surgi dans son champ de vision, carnet en main pour saisir leur commande. Sans elles, il aurait réduit le travail de cette pauvre fille en poussière de béton, en morceaux de tôle froissée. Sans elles, il ne pourrait simplement pas jeter un œil à la carte du midi et commander.

- Hrm... un bagel au saumon et un café, s'il vous plaît. Est-ce que vous pourriez retirer la laitue ? J'ai un peu de mal avec tout ce qui est vert. Et toi Dane, quelque chose te fait envie ?

Une fois le choix décisif effectué, Erika s'éloigne à grands pas, laissant de nouveau les deux hommes à leur discussion. Le café arrive vite, très vite, faisant grimacer le scientifique: les meilleurs demandent du temps, mais tant pis. Il fera avec. Au moins la poignée n'est pas chaude, ils ne l'ont pas juste réchauffé au micro-ondes ! La tasse bien en main, il souffle sur le liquide avec délicatesse.


Mille questions, mille interrogations tournoient dans son esprit, concernant la présence du Chevalier noir ce jour, et ses motivations. Un vieux reste d'inutile paranoïa dont il ne se débarrassera jamais vraiment, car Dane Whitman semble ici bien intentionné. Comme d'habitude, cela dit. Sauf sous l'emprise de son épée d'ébène, rarement le physicien a été vu faire preuve de malice. Un compagnon de confiance. Ce qui est une des raisons principales ayant permis cet entretien.

Son café bien en main, le docteur soupire, et répond finalement:

- En effet, les grandes lignes de toute cette histoire ne me sont pas inconnues. La principale concernée a eu le chic de m'en informer avec un message vocal très... alcoolisé.

La tension retombe d'un cran.

C'est agréable. C'est inhabituel.

D'ordinaire, il doit composer avec le stress, lutter contre pour mener une conversation un tant soit peu construite avec quelqu'un d'autre. Avec quelqu'un qui le connaît. Qui connaît l'Autre. Autrement, avec la grande majorité des gens, discuter se résume à des banalités, et à la nécessité de retenir tout ce qu'il pourrait dire, tout ce qu'il voudrait dire.

Fut un temps, il aurait tué pour ne plus avoir affaire avec le chaos d'une vie de super-scientifique. Aujourd'hui, cela lui manque. Les bus malodorants, les arrêts de bus chauffés par un soleil toujours plus chaud, les marches nocturnes au bord de la route pour gagner la prochaine petite ville, le prochain petit boulot... ce n'est pas une vie. Ce n'est pas comme ça qu'il veut finir. Pas dans un fossé, comme un miséreux.

Alors il se force un peu, il accepte de rencontrer des gens, pour parler, pour prévoir, pour aider. Tant qu'on ne lui demande pas de verdir, bien sûr. Même si cela viendra, bien sûr. Car telle est sa malédiction. Tel est le Hulk.

- Oh non, non. Non. Je n'assurerai que quand il n'y aura plus aucun risque. La bombe de Los Diablos n'a pas fini de brûler. Elle a juste changé de forme. En attendant, disons que je limite juste les dégâts. Mais, encore une fois, c'est gentil de ta part Dane. J'apprécie.

Au point de se détendre, l'espace d'un instant volé à sa fuite, à ses angoisses, à sa colère.

Aucun espion gouvernemental ne le garde à l'œil derrière un journal en papier.

Aucun militaire ne l'attend à la sortie du restaurant, arme au poing.

Alors Bruce profite du moment, et sirote un bref instant son café, déjà tiédi. Il le regarde, un brin surpris, mais hausse finalement les épaules. Bah, c'est mieux que rien.

- Je suis le pessimiste de l'équipe, d'habitude. Oui, la situation pourrait s'envenimer davantage. Oui, des gens malintentionnés pourraient se servir de ces données pour nous faire du mal. Oui c'est une crise de confidentialité. Mais mes échanges avec Tony et cette Felicia me laissent... assez... confiant.

Black Cat est une véritable inconnue dans cette équation. Mystérieuse, la voleuse aux cheveux d'argent ne laisse derrière elle que rumeurs et impressions. Sauf pour ses proches. Ce que n'est pas Banner. Contrairement à Tony Stark, dont il est aussi proche que possible. A lui tout seul, l'ingénieur de génie est une bombe à retardement émotionnelle. Encore une.

Raison pour laquelle Bruce s'est mêlé, un peu, de cet imbroglio absolu.

Contrairement à celui qui anime constamment l'équipe des plus grands héros de ce monde.

- Tout comme ce que je vois de la succession des Avengers. Tu m'en parlerais davantage, fiston ?

Un petit sourire, une petite légèreté, une petite pique sort pour répondre au paternalisme involontaire de Dane. Une preuve supplémentaire de la bonne entente du moment entre les deux hommes, de cet instant agréable dans le Barna Diner.

- L'Autre plus nature que Steve ? Mais voyons Dane, qu'y a-t-il de plus nature que le drapeau étoilé de notre bonne vieille Amérique ?

Grinçant ? Définitivement.
C'est sûrement ce qui arrive quand on se fait chasser sans merci par son propre gouvernement pendant plus d'une décennie, alors qu'on est une victime, au point de devoir changer d'identité et de pays de nombreuses fois. Cela le crispe, un peu, au fond de lui. Juste ce qu'il faut pour faire ouvrir un œil endormi à Hulk. Mais Banner ne souhaite pas laisser cette rencontre fort sympathique (selon ses standards) s'appesantir plus que de raison. Alors, profitant des nombreuses questions du Chevalier Noir, il relance, intéressé, et pour le moment plein d'une volonté de conserver son calme.

- Il faut bien quelqu'un pour s'y coller. Généralement, c'est au plus vieux de jouer les chefs. Ou à celui qui se reproche le plus de choses.

Une lueur verte passe brièvement dans le fond de ses yeux...
Le regard du professeur s'intensifie encore; il comprend.
Les émotions d'autrui ne sont pas sa tasse de thé. Il lui faut du temps, une multitude d'interprétations diverses à éliminer pour arriver à la vérité, ce qui lui prend beaucoup d'énergie, et complique ses relations. Mais ici, quant à la question de la culpabilité, de sens du devoir, il comprend son camarade. C'est bien le seul sentiment qu'il parvient à immédiatement cerner chez les autres, tant il l'étouffe.

Hulk ouvre son second œil.

Vite, changer de sujet !
Vite, rebondir sur un autre aspect de cette conversation !
Vite, toucher du doigt une note d'espoir, quelque chose de positif !

- Dane, est-ce que je ressemble à ce devin inhumain amené par Tony et Carol avant votre petite guerre civile ? Je ne sais pas quand ça va se finir, non. Mais tout le monde a trop à perdre pour que ça ne s'achève pas bientôt.

La fin d'une petite guéguerre d'informations aux conséquences potentiellement désastreuses, ça ne peut que faire sourire. Autant que le retour d'Erika la serveuse avec le bagel et la part de tarte au citron. Les plats sont posés sur la table, et Bruce tend discrètement un pourboire, juste ce qu'il faut pour satisfaire la jeune femme, mais pas assez pour devenir une figure plus mémorable qu'un routier de passage. De toutes façons, le séduisant chevalier semble bien plus occuper son attention.

Après avoir croqué dans son sandwich, laissant une légère marque d'avocat sur sa lèvre inférieure, il reprend la conversation, un peu plus serein.

- Mes projets ? Hrm... je suppose que tu as entendu parler des étranges portes vertes ouvertes il y a peu aux quatre coins du continent ? Des ouvertures vers la plus profonde des couches du Multivers, celle en dessous de tout. L'enfer des mutés gamma. Voilà ce que je compte étudier, quand les choses iront mieux. Parce que ses propriétés sont... hrm, j'ai oublié... spéciales, tout du moins. Peut-être pourrais-je y trouver une solution définitive à mon problème.

Des mots puissants lancés à voix basse. Gamma. Multivers. Enfer. Portes Vertes. De quoi faire se dresser les oreilles d'à peu près n'importe qui d'un peu au fait des actualités. Les précautions sont donc de mise, considérant les risques apocalyptiques associés à la puissance des radiations. Du gloubiboulga scientifique qui n'intéresse que la grosse tête de Banner.

Hulk se rendort.

Mais un dernier point intrigue le chercheur, qui reprend une grosse bouchée de son bagel.

- Par contre, qu'est-ce que c'est que cette histoire à Washington ?

Là, à ce moment précis, rien n'a plus réellement d'importance, hormis les mots prononcés par le Chevalier Noir. Au fond du paysage mental torturé du plus grand physicien du monde, Hulk se réveille, mais ne gronde pas, ne grogne pas, ne s'ébroue pas. Il sourit. Car Bruce Banner sourit, avec une sincérité désarmante. L'offre que vient de mettre sur la table son collègue scientifique le cueille, et l'émeut, chose rare s'il en est. Chose qu'il peine à gérer.

Avec une certaine lenteur, et un silence prolongé signe de son émotion, il retire ses lunettes pour les essuyer... et cacher ses yeux embués de larmes, ses yeux aux iris soudainement devenus verts. Un vert qui ne dégénèrera pas, cette fois. Un vert reconnaissant, mais reconnaissable aussi. Mais difficile de faire la distinction entre une crise et ce genre de réaction, quand on ne connaît pas intimement l'homme. Alors hors de question d'affoler qui ce soit ici, dans ce diner.

Après quelques secondes d'astiquage intensif, juste ce qu'il faut, les verres de binocles dûment nettoyés retrouvent leur nez légitime, mouvement bien vite suivi d'une réponse enthousiaste:

- Sincèrement ? Ce serait merveilleux.

Les iris ternes du professeur sont bien sûr revenus à la normale. Mais l'émotion reste la même: dans la même semaine, si la traque par le SHIELD pouvait perdre en intensité et s'il trouvait un lieu pour enfin mener à bien ses recherches... ce seraient bel et bien les meilleurs sept jours depuis un bon paquet de mois maintenant.

- Cela nous permettra d'enquêter et sur les Portes et sur ce Grand Jeu. La science pour sauver le monde, je l'ai toujours dit. Enfin, peut-être, une humble contribution de ma part, moi qui ai passé le plus clair de mon temps à le menacer.

Un poids qui pèse et pèsera toujours sur sa conscience. Des protocoles entiers de mise en sûreté de la population civile existent à cause de lui. Parfois, ils portent même son nom. Pourtant, moins de gens sont morts de sa main que de celle de Thor, par exemple... une injustice véritable qu'il ne daigne même pas prendre la peine d'intégrer dans son processus d'auto-culpabilisation interne. C'est la faute de Hulk, et conséquemment la sienne.

A voix basse, il répète une seconde fois:

- La science pour sauver le monde, oui.

Mais l'émotion peine à le quitter.
Elle s'accroche, et lui rend un petit peu espoir, juste ce qu'il faut pour détourner son regard du moment présent vers le lendemain, vers le futur.

- Et si tout se passe bien, d'ici un jour ou deux, Natasha Romanoff devrait s'être arrangée pour détourner les yeux du SHIELD de Bruce Banner.

Identifier ce que sont et ce que font les Portes Vertes est primordial au yeux du scientifique aux sept doctorats. A ses yeux menaces, elles doivent être contrôlées et, si cela n'est pas possible, détruites, d'une manière ou d'une autre. Du gamma, rien n'est jamais venu de bon.

- Non.

Un simple petit mot, pourtant tellement plein de regrets.
Bruce Banner n'a jamais eu beaucoup d'amis, même lorsque tout allait mieux, alors l'idée d'en avoir perdu un, quelle que soit la manière, l'attriste, le mine. Pas au point d'être totalement renversé par l'émotion, mais assez pour se crisper, soupirer et maugréer dans sa barbe. La dépression est rarement un mal flamboyant; elle s'insinue, bien au contraire, et creuse avec patience au lieu d'exploser comme peut le faire le Hulk. Ce petit moment de renfermement ne dure qu'un temps seulement. Banner se reprend un peu, suffisamment pour répondre à la question.

- Je n'ai pas vu Rick depuis des années. Il me manque, mais c'est mieux pour lui qu'il ne soit plus associé à moi. Oui, c'est mieux pour lui.

Encore une répétition, comme si le scientifique voulait se convaincre. A vrai dire, il en est convaincu: moins de ses proches seront à proximité, moins ils subiront les contrecoups de sa vie agitée. Mais il n'a pas à s'attarder sur cette pensée, ni sur le sous-entendu concernant Betty, qu'il n'a absolument pas saisi. Dane le prend par surprise, en évoquant les étranges occupants du Château Garrett, chaînons manquants génétiquement conçus par un être s'imaginant au dessus de toutes les règles. C'est presque aussi bizarre que le clonage en série de chevaux ailés. Presque.

- Eh bien...

Une légère hésitation transparaît dans la voix du scientifique, qui s'imaginait déjà seul avec le Chevalier Noir dans un immense laboratoire. Comment dire, comment évoquer ce à quoi il pense sans blesser ? Voilà quelque chose de difficile à envisager pour le pauvre homme, encore sous le coup de sa poussée de joie.

- Ce doit être... animé, chez toi. Dois-je m'attendre à d'autres surprises du même genre ?

Pour savoir s'il serait plus sage de demander asile à Reed Richards plutôt, dans l'environnement sûr et contrôlé du Baxter Building... mais cela voudrait dire être plus proche de la ville, plus proche des innocents, plus proches d'une potentielle nouvelle situation de crise...

Bien des choses sont dites lorsque Dane prend la parole.
Sur son château, ses équipements, ses commodités, ses spécificités, ses occupants.
Surtout sur ses occupants, dont la mention de l'un d'eux fait réagir le scientifique jusque là bien heureux à l'annonce de cette nouvelle demeure. Jacqs. Jackie. Chopra, mais en fait Whitman. Une surprise... apparemment fréquente quand la vie de "super-héros" s'impose. Hank Pym et sa fille Nadia, Logan et son fils Akihiro ainsi que Skaar et lui-même, Bruce Banner, en sont de parfaits exemples. Pour autant, la surprise est là, suffisante pour demander un nettoyage de lunettes machinal.

- Ah.

Il ne peut rien dire d'autre, non. Parce qu'arrivé à ce moment de la conversation, cela coince, cela bloque un peu. Parler de choses personnelles, ça n'a jamais été son fort, ni avec des amis, ni avec des collègues. Alors il embraie avec la proposition -maladroite- de nouvelle boisson. Sans regarder la carte ou réfléchir un seul instant, le reste de son cerveau étant occupé à traiter ce qu'il vient d'entendre, il lance la première chose qui lui vient:

- Je... hum... un autre café s'il te plaît. Pour digérer le bagel. Et l'information.

Un silence s'installe ensuite.
Gêné, gênant, durant lequel Bruce laisse son regard vagabonder d'un bout à l'autre de la salle, sa paranoïa brièvement réactivée. Pour le moment, et jusqu'au bout de cette entrevue il espère, rien d'inquiétant n'est à signaler. Hormis, peut-être, l'ambiance qui règne au Château Garrett. Une question difficile à poser, mais nécessaire compte tenu des circonstances.

- Bienvenue... bienvenue au club, je suppose. C'est... comment ça se passe entre vous ? Je ne veux pas être indiscret, mais mon propre fils -enfin, celui de l'Autre- a voulu me tuer lors de notre première rencontre. Dois-je m'attendre à... ce genre de difficultés ?

Voilà le genre de problématique parmi les pires à résoudre. Parce que, avouons le, des chevaliers animaux anthropomorphiques, c'est le lot commun à tous ceux qui s'aventurent dans les méandres de la science, non ?

Dane Whitman a beaucoup de choses sur le cœur, depuis toujours. Tourmenté par son passé, son devoir et son avenir, il traîne sur son dos un lourd fardeau, qui aurait fait s'écrouler bien du monde. Aux yeux de Banner, et selon ce qu'il comprend, l'arrivée de cette jeune Jacqs a chamboulé beaucoup de choses au château Garrett, menant davantage à une modification qu'à un alourdissement du poids à porter. Tantôt gêné, tantôt triste, tantôt compatissant, le scientifique s'improvise brièvement psychologue de diner américain. A la manière de Leonard Samson, qu'il a beaucoup observé travailler, sa posture s'ajuste pour permettre à son interlocuteur d'être à l'aise, autant que faire se peut.

Si l'immense problématique des liens du sang ne le triturait pas autant, il se serait sûrement contenté de hocher la tête, sans rien rajouter. Pas là. Pas comme ça. Le Hulk est le Hulk en raison de cela. Banner est Banner en raison de cela.

- Des nouvelles ? De ? Ma famille ? Hiro-Kala est mort, Lyra vit des aventures avec sa mère sur Weirdworld et Skaar... m'a échappé. Encore. Il ne tient pas en place ce petit. Ca doit venir de moi, je suppose.

Des vies difficiles, encore. Skaar d'avoir été abandonné. Hiro-Kala d'avoir été délaissé. Lyra d'avoir grandi au sein d'un ordre de guerrières d'élite. Le gamma est une malédiction, terrible, pernicieuse, qui ne s'arrête pas à une seule personne, mais aussi à ceux qu'elle aime. Ou qu'elle voudrait aimer, et ce peut importe le nombre de nuits passées à s'imaginer être un meilleur père que Brian Banner.

Un rêve impossible, désormais. La paternité aura également été un échec. Tout comme être un héros, un époux, un ami, un scientifique digne de ce nom. Il ne parvient même pas à mourir, pourtant le destin de tous les hommes, une délivrance salutaire à ses yeux. On lui refuse, ça aussi.

Alors à défaut de devenir un jour tout cela, il entend être un bon invité, au domaine du sieur Whitman.

- Tu penses que tes chevaliers et ta fille vont accepter de partager le château... avec le Hulk ?