Jurassic Central Park [She-Hulk]

Central Park - 12h32

Il était de notoriété publique que Peter Parker ne cessait de geindre sur le fait que l'univers semblait souvent lui en vouloir personnellement. De la petite misère au grand malheur, les preuves à charge s'accumulaient bel et bien. De cette réalisation était née la théorie de la "Parker's Luck", vérifiable tout au long des très nombreuses aventures de l'Araignée. Cette idée là aurait bien fait rire Eddie Brock, s'il n'avait pas un karma encore plus pourri que celui de son ex-adversaire.

Certes, beaucoup de ce qui lui retombait dessus aujourd'hui prenait racine dans ses erreurs de jeunesse, avec des conséquences souvent inattendues et dramatiques. Cela s'expliquait, cela s'emboîtait dans le grand schéma cosmique... mais quand même. C'était parfois tellement pas de bol que ça ne pouvait qu'être fait exprès.

Afin de grapiller les quelques sous nécessaires à l'entretien d'un enfant, Eddie travaillait parfois au noir. Prise de photos ou petits articles anonymes pour des journaux peu prestigieux, il enchaînait les heures sans les compter, laissant en sécurité dans leur planque du moment Dylan. Le pauvre petit père s'ennuyait fermement, mais impossible d'y échapper. Tant qu'ils n'auraient pas trouvé un moyen d'assurer leur survie sur le long terme, ou la destruction de Carnage, la résilience devenait une vertu primordiale. Cela ne plaisait pas plus au grand frère qu'au petit. Comme toute cette foutue situation où chacun de leur geste devait être aussi mesuré que lors d'une partie d'échecs.


Alors qu'il sortait de Central Park après avoir photographié des scènes de la vie courante pour le compte du Herald Star, un vacarme peu courant alerta les sens du reporter... sauf un, le plus important. Son sixième sens, hérité des pouvoirs de Spider-Man, ne se déclenchait pas. Deux possibilités se dessinèrent immédiatement dans l'esprit du survivant. Soit il n'y avait aucun danger aux alentours, très peu probable, soit le danger en question était extrêmement dangereux. Ce qui était une évidence dans l'esprit d'Eddie ne tarda pas à prendre forme devant lui.

Le capharnaüm s'accompagna bien vite de hurlements de terreur. A l'angle entre la 79ème rue Transverse et Central Park West, Brock localisa en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire l'origine du problème. Lui, et la moitié de New-York, sans le moindre doute, vu le boucan qui s'ensuivit.

La façade du Museum d'Histoire naturelle, monument majeur de la ville, éclata en partie, soulevant dans l'air un lourd nuage de poussière. Des blocs retombèrent avec fracas sur le parvis et sur la route, causant un carambolage de taxis jaunes. Pendant quelques instants, un silence pesant s'installa... une seconde... deux secondes... trois secondes... puis un hurlement déchira l'hébétude des passants. Un hurlement strident, bestial, suivi de la créature à qui il appartenait. Ou plutôt des créatures.


L'iconique relique du musée, un squelette de tyrannosaurus rex, jaillit des décombres, couvert d'une matière que reconnut immédiatement Eddie Brock l'expert: un symbiote. Noir et blanc, comme Venom. Impossible. Totalement et absolument impossible. Ils ne pouvaient pourtant se lier qu'à des hôtes vivants ! Et sauf erreur massive de sa part, l'AMNH ne possédait pas de dinosaure "en état de marche". Cela ne pouvait vouloir dire qu'une seule chose: ce parasite avait trouvé un moyen de contrôler les morts. Une très très très mauvaise nouvelle.

La surprise paralysa un instant le fugitif, et il fallut que l'énorme animal se rue dans sa direction pour qu'il reprenne pied. Une impulsion silencieuse de son symbiote l'aida à faire un choix rapide. Fuir faisait partie de ses options, en temps normal. Mais pas là. Aujourd'hui, il devait se débarrasser de ce Klyntar évolué, de sorte à ce qu'il ne puisse pas prendre se goinfrer au cimetière local. En un instant, son t-shirt changea de forme pour couvrir l'intégralité de son corps. La seconde d'après, l'humain avait disparu pour laisser place à Venom.


Heureusement, car il avait mal calculé la vitesse de course du dinosaure infecté. Plus rapide que prévue, la bête des temps anciens percuta l'instant d'après sa cible, l'envoyant voler à plusieurs dizaines de mètres de là. La chute fut rude, et tout à fait douloureuse. En se relevant, il remarqua l'énorme sillon tracé dans la végétation du parc, et les innombrables badauds aux alentours figés sur place par la violence du choc. Des victimes potentielles. Inacceptable.

- Courez vous mettre à l'abri ! Allez ! VITE !

Dans l'esprit des New-Yorkais, Venom était encore un vilain, un criminel, un tueur terrifiant. Des cauchemars tenaces faisant la fortune de psychanalystes naissaient de son apparence abominable. Pourtant, depuis des mois maintenant, et encore plus maintenant, il œuvrait pour faire le bien, ou en tout cas le mieux possible. Endurci par des années à être le "méchant", il tenta d'effrayer les civils de sorte à les faire décamper plus vite, plus loin. Difficile de ne pas fuir devant le colosse d'ébène qu'était Venom. Surtout en se faisant encourager d'une tape dans le dos par un filament noirâtre.

Une fois les derniers promeneurs hors de son champ de vision, il se retourna, un mauvais pressentiment lui vrillant les tripes. Juste à temps pour voir s'ouvrir devant lui l'énorme mâchoire du T-Rex ressuscité, pire encore que la sienne alors déjà très fournie en dents acérées.

- Oh bordel !

Et sur ces derniers mots fort peu adaptés à une épitaphe décente, il se fit gober net et cru.

— Oui Jess'. Je sais. Oui dans le cadre de la loi, tu es en tort. Mais cela n'empêche que selon l'article 223-3 et le devoir d'assistance à personne en danger tu n'es pas ... oui je sais que cela t'énerve qu'ils trouvent toujours un moyen de ... mais non je ne te reproche pas de ne pas avoir traversé ce passage piéton ! Mais c'est le seul contre que le père de ta victime a ... nous devons attendre le statut du juge, mais je suis confiante, Jess'. Est-ce que je t'ai déjà fait défaut.

Oui, la Jess' que vous entendez présentement depuis mon smartphone est Jessica Drew, alias Spiderwoman. L'affaire qui aujourd'hui la rend aussi vocale et incapable de me laisser lui expliquer les choses après le procès, est une histoire de délaissement d'enfant. Et la seule parade qu'a trouvé le père fautif est d'accuser Jess' du fait de ne pas avoir correctement traverser le passage piéton avant de fracasser sa porte et récupérer l'enfant en danger. On passera les détails sur le passé sordide du père ainsi que ses activités actuelles, mais vous avez compris l'idée. C'est un enfoiré de première, et je me suis retrouvée avec cette absurde histoire de procès concernant un passage piéton. Heureusement que Jess' est une cliente fidèle, dont j'ai besoin pour continuer à faire vivre mon bureau, mais tout de même. Elle est sacrément gonflée de me m'imputer tous ses maux alors que j'ai fait le maximum, et que je suis sûre à cent pour cent que l'affaire sera classée. Je me pince le nez alors qu'elle raccroche enfin en me disant qu'elle était désolée d'être montée dans les tours, et qu'elle était sûre que j'avais fait mon maximum. Super, merci. Je suis aussi ravie de t'avoir aidée, Jess', à la prochaine. Un long soupir s'en suit, et honnêtement, je suis crevée. Crevée par le boulot, j'entends. Parce que si vous me voyez dès à présent bondir de ma chaise en regardant la chaîne d'info en continu avec ce grand sourire, c'est bien la preuve que j'ai encore de l'énergie à revendre pour ce genre de truc. Et quel truc !

Je dis à Holliway que je dois partir. Même si je le laisse sur sa fin et les bras ballants, il sait en regardant sur l'écran du couloir qu'il n'a pas vraiment son mot à dire. D'autant plus que ... oui, j'ai bouclé tous mes dossiers pour la journée. Je sors donc du bâtiment à grandes enjambées sur mes hauts talons. Ce qui, en soi, n'est pas vraiment pratique, il faut l'avouer. Mais j'ai si hâte de sortir et juste prendre ma forme Hulk que je cours avec entrain vers le sujet de mon euphorie. Un T-Rex, bon sang de bonsoir ! Un T-rex se balade vers Central Park ! avec du liquide Venom sur son corps. Et si j'ai bien écouté alors que je partais bille en tête, c'est un squelette venu du Museum d'Histoire Naturelle. Je croyais que cette substance ne s'en prenait qu'aux êtres vivants ? Enfin soit, ça veut dire que j'ai du travail ! J'arrive sur les lieux, où avec la course de la terreur du jour j'ai pas mal à déblayer et aider. Je finis par arriver dans le Parc, où j'entends les échos d'un combat, et je pressens que pas mal de végétation a dû rendre l'âme au grand dam des paysagistes. Deux chatons sur mes bras et mes jambes, je soulève une voiture encore occupée qui s'était renversée.


— Eh bien. On dirait que quelqu'un essaie de déjà gérer la situation. Enfin ...

Oui enfin gérer, gérer ... vu les dégâts et les cris de la bête, il ne doit pas si bien gérer que ça. Je dépose la voiture et son conducteur ainsi que les adorables félidés dans les bras d'une fille et de sa mère en leur demandant de prendre bien soin de ces petits bouts, avant de partir en course dans le parc. J'ai au bout d'une minute de course le monstre en vue. Et je bondis. Je bondis alors que cette carcasse viciée se met à ingurgiter quelqu'un que j'ai cru reconnaître durant ce court laps de temps. Et je frappe en plein dans sa nuque avec un violent coup de mon bras. Alors je sens que je frappe. Je frappe fort, mais ce truc noir nommé symbiote ne fait que recracher ce pauvre de moitié vu que symbiote plus symbiote ... ça s'attire et ça se colle. Donc je vois au moins le torse et la tête de l'ancien vilain sortir de la gueule du dinosaure revenu à la vie.

— Bah alors Venom, je croyais que tu avais raccroché ton costume de super méchant. C'est une expérience ratée que tu as créée en te disant que ce serait fun d'avoir un animal de compagnie ?

La bête essaie de ne pas se laisser faire et je sens même que plus je frappe dans l'os, plus la densité de la substance m'en empêche, et plus j'ai l'impression que petit à petit, elle essaie de m'intégrer. Hein ? Je me soutire heureusement rapidement et à peine ai-je le temps de poser un pied à terre, la queue de ce machin horrifique essaie de me balayer. Le coup est fort. J'encaisse, mais vu que je n'ai pas toute ma force sur mes appuis je suis quand même balancée quelques mètres plus loin. La vache, c'est qu'il tape fort, ce salaud ! Je me relève un peu mal en point, et sacrément énervée. Puis, je hurle sur Venom qui essaie sans doute de se dégager.

— En tout cas, si c'est vraiment ce que tu as essayé de faire, apprend à le tenir en laisse !!!

Il était de ces situations que l'on aimait jamais affronter au quotidien. Recevoir une fiente de pigeon sur l'épaule. Marcher dans une crotte de chien. Se faire asperger d'eau sale par un bus un peu trop proche du trottoir. Dans le cas présent, se faire avaler, mâcher et recracher par un dinosaure. Accompagné d'un gargouillis de matière symbiotique et de rejets verdâtres, Venom eut à subir cela. Sans doute cela aurait été pire si quelqu'un n'avait pas fait son possible pour le sortir de cette périlleuse situation.

Au sol l'espace de quelques instants, le reporter dut prendre une seconde ou deux pour recouvrer ses esprits. Suffisamment longtemps pour entendre sans tout à fait comprendre les quelques propos lancés par l'impressionnante She-Hulk, en pleine lutte à mains nues avec le tyrannosaure corrompu. Son visage, brièvement débarrassé du masque organique aux grandes dents, afficha sans pudeur aucune sa perplexité. Au milieu des cris préhistoriques et du piétinement de l'énorme bête, il ne put répondre qu'un bref mais étonnamment poli:

- ... pardon ?


Venom, lui, moins limité par de vulgaires capteurs de son organiques, avait tout saisi. Chacun des mots de l'avocate de jade, et la manière qu'elle avait de les regarder avec un dégoût palpable. S'il était habitué à la haine et à la peur, le symbiote était peiné que son hôte, une vraie bonne personne malgré tout, subisse pareil contrecoup. Il sentait à quel point cela pesait sur son esprit, à quel point il aurait aimé... peut-être pas être célébré, mais au moins reconnu. Apprécié. Aimé. Car d'amour, le pauvre Eddie en avait toujours été privé. Depuis la mort d'Annie, du moins. Et jusqu'à avoir retrouvé le fruit de ses entrailles, Dylan.

Ainsi, sa réaction fut immédiate, primale et ressentie jusque dans les tripes.

Frappe la, Eddie.

Oh que non, il n'allait pas la frapper. S'il n'avait pas tout saisi, mettre une droite à un héros ne pouvait qu'être contreproductif, aussi cathartique le coup allait se révéler. Et puis, toute aide était bonne à prendre, surtout face à un agent de Carnage, ce que le monstre ancien ne pouvait qu'être. Soit ça, soit Parker avait déteint sur lui, avec sa foutue malchance. Ce qui, à bien y réfléchir, n'excluait pas non plus la première option.

Faisant peu cas du gluant verdâtre le recouvrant, Eddie bondit sur ses pieds, bien décidé à en découdre avec le dinosaure noir et blanc. Qui était tout sauf son animal de compagnie malencontreusement libéré dans les rues de Manhattan.

- On en causera après. Si tu survis.


La pique, un peu provocante mais presque bon enfant, arracha un sourire à Brock. Un sourire plein de dents, fort peu rassurant il fallait l'admettre. Mais un sourire tout de même, bien loin de ce qui était d'ordinaire attendu du monstre, de la bête, de la Némésis de Spider-Man. Alors peut-être ne l'était-il plus vraiment, à ce jour ? Peut-être était-il devenu autre chose ? Difficile à dire, mais là était son souhait, aujourd'hui. Être plus qu'un autre de ces tarés en costume.

En attendant, et quels qu'étaient ses désirs, une mission prenait toute la place: protéger son fils des plans ignominieux de Carnage. Et pour ce faire, il n'existait pas vingt mille solutions: il fallait terrasser ce foutu tyrannosaure symbiotique en plein cœur de Central Park. Avant d'arracher la tête de Cletus Kasady une bonne fois pour toute.

Mais chaque chose en son temps, le dino passait en premier.

De nouveau, la gueule abominable tenta de se refermer sur lui. La vision d'horreur n'empêcha pas Venom d'agir, il avait vu pire, bien pire. Mobilisant alors son incroyable force, il bloqua net l'attaque en maintenant ouvertes les mâchoires aberrantes. Certains crocs se plantèrent dans ses mains, lui arrachant un grondement de douleur. Un sang très rouge coula le long de ses bras, et sur la langue du tyrannosaure, qui en frémit de plaisir.

La terre sous les pieds de l'ancien criminel commença à s'affaisser. Ses muscles tremblèrent. Son sourire s'effaça vite, ne laissant plus qu'une grimace d'effort sur son visage noir. Ils n'étaient pas assez puissants, pas assez solides pour lutter à force égale contre cette force de la nature. Eux deux ne suffisaient pas. Mais ils n'étaient pas seuls. Toute l'énergie d'une bombe atomique sur pattes était prête à les aider, à prendre part à cet affrontement. Les ondes sonores que les mutés gamma pouvaient générer étaient terribles pour la sensibilité des symbiotes.

Ses yeux blancs cherchèrent en conséquence le regard de She-Hulk, et lorsqu'ils se croisèrent enfin, ils hocha la tête.

A deux, ils allaient être assez forts.

Dans un sursaut d'adrénaline et de colère, porté par sa tâche ô combien supérieure à toute autre, Eddie referma complètement la gueule de l'animal, lui mit un coup de tête qui résonna aussi bien dans les environs que dans son propre crâne, et profita qu'elle soit sonnée pour l'empoigner à pleines mains. Pour l'accompagner dans l'effort, ses doigts s'agrandirent, et vinrent s'enrouler autour de la tête massive.

- COUCOUCHE PANIER !

Et il envoya le dinosaure tout entier vers Jennifer Walters, dans l'espoir qu'elle le dissipe d'un clap dévastateur.