ft. The Wasp II
Ce n'est que lorsque la mâchoire de Natasha menace de lâcher que l'espionne force les traits de son visage à se détendre. Sortie de sa lugubre contemplation, elle réalise que chacune de ses articulations lui fait mal à force de rester plantée devant l'immense baie vitrée de la partie habitable de la tour Stark, parfaitement immobile, crispée. Un coup d'œil à l'horloge qui trône sur le mur ne suffit pas à lui faire comprendre combien de temps elle a passé à fixer la ville en contrebas sans la voir.
La Veuve Noire est troublée. Bien plus qu'elle ne l'aurait voulu et bien plus qu'elle ne souhaite l'admettre. Là où elle a cru naïvement que l'horreur de ses origines était restée derrière elle, en Russie, voilà qu'une enfant la replonge dedans. Et la met devant le fait accompli. La Red Room n'a pas disparu comme Natasha l'a cru et espéré, si fort. Elle a eu beau lire le sms en long, en large et en travers, les mots ont longtemps refusé de faire sens dans son esprit. Parce qu'admettre que tout est vrai, c'est se demander combien de filles ont été embrigadées. Combien sont mortes. Combien se sont vues arracher leur libre arbitre, leur enfance. Combien ont souffert mille souffrances au nom de mortels idéaux. Combien après elle, qui aurait pu toutes les sauver. Et avec ces questions, la douleur, profonde, qui la prend aux tripes. Qui lui donne la nausée et l'impression de suffoquer.
Dans la grande pièce à vivre, elle ferme les yeux, et cède pour la première fois depuis une éternité le droit aux horrifiantes images de son enfance de défiler derrière ses paupières. Du sang, des armes. Des seringues. De vieux écrans alignés, comme les Veuves, sur lesquels défilent des dessins animés dans diverses langues. Des coups, des bleus. Des corps pâles dans la neige maculée de tâches écarlates qui lui faisaient penser aux constellations dans le ciel. Puis une petite voix qui prononce faiblement son nom.
Les yeux de la russe s'ouvrent soudainement. Elle a le souffle court et la gorge nouée par les larmes. Les immeubles face à elle n'ont toujours pas bougé et elle s'y raccroche pour remettre un pied dans la réalité. Natasha se retourne pour découvrir pour la première fois, malgré leur affiliations similaires, le visage de la jeune Nadia. Un visage qu'elle constate épuisé même à l'autre bout de la pièce. La jeune fille trébuche presque ; Natasha esquisse deux pas dans sa direction, la main tendue devant elle, avant de se décider à aller à sa rencontre. Elle entoure son bras de ses doigts fins pour la guider doucement vers le premier canapé qui se présente.
« Assieds-toi. » dit-elle, ignorant la sueur froide qui traverse tout son corps quand elle analyse de plus près cette expression qu'elle ne connaît que trop bien. Celle d'une personne qui ne peut compter que sur elle-même pour sauver sa peau. Celle d'une Veuve en fuite. Ce visage, ça a été le sien durant des années. L'estomac de Natasha se tord.
« Ils sont ici? A New-York? » Une ride à la fois inquiète et concentrée se forme entre les sourcils de la rouquine qui prend place aux côtés de la Guêpe.
« Dis-moi tout. Tu n'es plus seule. »