Le deal [VICTOR VON DOOM]

Elle a tout prévu. Personne n'en saura rien. Personne... et surtout pas Tony. Ni où elle va, ni qui elle va voir, principalement. Elle connait ses méthodes. On n'espionne pas l'une des meilleures espionnes du monde. Elle s'est glissée de ruelle en ruelle, de toit en toit, de bâtiment en bâtiment, afin d'éviter toutes les caméras possibles et imaginables. La reconnaissance faciale est vraiment une plaie, quand on doit y échapper soi-même.

War Widow est restée dans l'une de ses planques de New-York. Son téléphone dans une autre. Elle s'est même séparée du bracelet qu'il a optimisé pour elle. Pourquoi prendre autant de précautions ? Parce que la réputation du Docteur Fatalis n'est pas des meilleures à l'heure actuelle. Et si certains, Tony en tête de gondole, savaient ce qu'elle présage de faire... nul doute qu'elle serait cueillie par un Stark en armure furibond, avant même de passer la large porte de l'ambassade où elle doit le rencontrer.

Mais avec toutes ces précautions, autant dire qu'elle arrive presque totalement démunie face à son hôte.
Cependant... en étant parfaitement honnête... ça ne change pas grand chose. Même si elle s'était harnachée de la tête aux pieds, elle n'a pas les capacités pour rivaliser seule avec un Docteur Fatalis en colère qui aurait décidé d'en découdre. Et Natasha en a parfaitement conscience. Cela fait partie de son job. Elle doit connaitre ses atouts et ses faiblesses, savoir de quoi elle est capable, quand et contre qui.
Et en l'occurrence... là est toute sa faiblesse dès qu'il s'agit d'êtres qui pratiquent la magie.
Oh BALERINA lui serait vraisemblablement d'un grand secours, cela va sans dire. Mais même avec elle à ses côtés, la balance ne pencherait pas forcément en sa faveur.

Quoi qu'il en soit, elle n'est pas venue l'affronter, très loin de là même.
Si elle en juge par ce que lui a dit Taskmaster, corroboré par Fatalis lui même, il semble que le super vilain s'oriente désormais vers une carrière d'ex super vilain. Ce dont elle ne peut que se féliciter d'ailleurs. Et dans la mesure où la dernière fois qu'ils se sont vus, ils étaient alliés... tout devrait bien se passer. Normalement.

- Bonjour, je m'appelle Natasha Romanov. Je suis attendue par...

Natasha fait une courte pause, semblant hésiter. Le problème avec cet homme là, c'est qu'il a plus de titres que tous les rois du monde réunis. Alors lequel choisir... problème épineux.

- ...votre Souverain. Finit-elle par trancher.

Souverain, oui c'est bien ça. N'est-elle pas à son ambassade, après tout ?

Natasha traverse le grand hall à la suite du secrétaire et sous bonne garde. L'espionne ne semble pas s'en formaliser pour deux raisons. La première, cela n'est guère étonnant pour une ambassade et la seconde, n'est guère plus étonnant lorsque l'on considère auprès de qui elle a obtenu une audience.
Une rencontre qu'il a acceptée tout naturellement et qui s'est même concrétisée plus vite qu'elle ne l'aurait pensé. C'est peut-être ce point qui l'étonne le plus d'ailleurs. Car lorsqu'elle a contacté le Docteur Fatalis, entre autres noms, elle n'était d'une part pas certaine qu'il lui réponde, et d'autre part elle s'était plutôt attendue à devoir patienter des semaines avant qu'il ne lui accorde un rendez-vous.
Mais en l'occurrence... cela n'avait été le cas ni de l'un, ni de l'autre.

- Bonjour Docteur Fatalis. Dit-elle dans un premier temps, en réponse à son salut, avant d'extirper un sourire amusé et de poursuivre. Ah... je ne sais jamais comment je suis censée vous appeler.

Car s'il y a bien un homme qui possède toute une tripotée de noms différents au sein de l'univers, c'est bien celui-là. Par habitude des différentes opérations qu'ils avaient réalisées ensemble, Natasha l'appelait toujours par son nom de code. Mais peut-être en préfère-t-il un autre...

- Merci de me recevoir aussi vite. Lance-t-elle tout en marchant à pas lents vers l'imposant trône sur lequel il est assis, puis stoppant tout de même à distance raisonnable, plus par respect que par une quelconque appréhension par ailleurs.

- Je ne suis pas ma "communauté", tout comme je ne suis pas là au titre des Avengers.

S'il a besoin d'une confirmation de plus, comme quoi sa visite n'est aucunement officielle mais revêt un caractère on ne peut plus personnel, ces quelques mots devraient suffire à l'en assurer.

- Je suppose que vous n'avez pu que difficilement passer à côté de l'énorme chaos provoqué par Black Cat, et de la réponse instantanée de Tony.

A vrai dire... pour y échapper... il faudrait être un ermite planqué au fond d'une grotte au fin fond du Pôle Nord. Et encore... ça n'était même pas dit.

- Cette petite chatte de gouttière a subtilisé un certain nombre de dossiers confidentiels et autrement plus sensibles au SHIELD, dont le mien, qu'elle a revendu à Taskmaster.

Natasha rentre dans le vif du sujet immédiatement, sans détour, comme elle sait si bien le faire. Elle sait que son hôte n'a pas de temps à perdre, et dans la mesure où elle non plus, cela tombe plutôt bien.

- Taskmaster a voulu que l'on se rencontre. Pour être honnête, je pensais qu'il allait utiliser les informations en sa possession pour me laver le cerveau ou me manipuler d'une manière ou d'une autre, mais ce n'est pas ce qu'il s'est produit. Même si... on peut tout de même partir du principe qu'il a quand même essayé. Il m'a donné le fameux dossier et essaie, ni plus ni moins, de me retourner contre les miens, notamment le SHIELD et Fury. Et il est tellement sûr de lui, qu'il imagine que je vais le faire de mon propre chef, sans avoir besoin d'être manipulée par un conditionnement psychologique quelconque. Il a très clairement essayé de semer le doute dans mon esprit...

Natasha ferme brièvement les paupières, avant de les rouvrir et de les planter franchement dans celles de son interlocuteur.

- ...et il a réussi.

Oui, il y est parvenu. Elle a finalement lu le dossier rédigé par la main de Fury le père en personne. Elle a eu accès aux souvenirs qu'il a effacés de sa mémoire, même s'ils ne résident pour l'heure que dans la mémoire de l'IA BALERINA.

- Nous avons combattu ensemble. Et si je ne connais pas grand chose à votre art, je sais la maîtrise que vous en avez. Pour être honnête, une fois encore, j'aurais pu aller voir Strange. Mais... j'ai peur qu'il ne soit de parti-pris, qu'il refuse et je préfère éviter que quiconque ne soit au courant tant que je ne l'aurais pas décidé.

Car... si Tony savait ce qu'elle s'apprêtait à faire, il l'aurait enfermée à double tours pour l'en empêcher, à n'en point douter.

- Voilà la raison pour laquelle c'est vous que je suis venue trouver. Je veux récupérer ma mémoire Docteur Fatalis. Je veux savoir qui je suis, qui je suis vraiment. Et vous seul pouvez m'y aider.

Natasha hausse un sourcil.
Accordé ? Et... c'est tout ? Juste... accordé ?
Elle le dévisage alors qu'il descend les quelques marches qui les séparaient encore et qu'il se positionne près d'elle. Elle ne s'était pas attendue à ce qu'il lui demande la Lune en échange, mais au moins quelque chose... tout de même.

Deux poids, deux mesures.
Soit les informations qu'il va de fait récupérer dans sa tête sont une compensation suffisante. Car il va forcément y avoir accès en pataugeant dans son esprit et certaines valent très clairement, ou plutôt très certainement si on en juge le dossier de Fury, leur pesant de cacahuètes.
Soit il lui accorde cette faveur parce que c'est une sorte de défi ou d'amusement pour lui. Le second étant sans doute plus valable que le premier, par ailleurs.

Ou bien... en éventuelle troisième possibilité, ses mots sont vraiment sincères et il apprécie suffisamment sa démarche pour lui prodiguer l'aide demandée. Ce dernier point, bien que pas impossible car, pour ce qu'elle connait de lui, il a plutôt tendance à être franc du collier, la surprendrait tout de même un peu. A-t-elle peut-être sous estimé sa réelle bonne volonté quand il dit vouloir se racheter une conduite et améliorer sa réputation.

- Ah euh... eh bien... merci beaucoup. Dit-elle, légèrement décontenancée par ce "oui" si franc et si massif.

Elle acquiesce en silence lorsqu'il demande si elle a conscience des risques.
Dans un sens oui, elle en a conscience. Lorsque l'on voit les dégâts que l'homme a été capable de provoquer dans son esprit, on ne peut que se douter que la magie, qui possède une part d'aléatoire non négligeable même si incroyablement bien maîtrisée, risque de ne pas en être exempte.
Mais, dans un autre sens, il lui est très difficile de quantifier ou mesurer par avance le type de risques en question.

Une lacune que le Souverain se met bien vite en devoir de combler lorsqu'il aborde les différents effets secondaires que sa manipulation magique pourrait engendrer. Ah ouais... quand même...
Natasha extirpe un soupir, mais ne relève pour autant pas. Si elle est venue le trouver, c'est que sa décision est prise. Quoi qu'il en soit, quoi qu'il en coûte, elle ne reviendra pas dessus. C'est aussi sa marque de fabrique... en quelques sortes.

- Ne vous en faites pas, je me doute que ça ne sera pas une promenade de santé. Mais puisqu'il faut en passer par là de toute manière... Laissez-moi un post-it pour me rappeler que vous m'avez aidée, juste au cas.

Un sourire en coin ponctue ces quelques mots qui sonnent comme un trait d'humour. Cependant... après tout ce qu'il vient de lui dire, elle se félicite d'autant plus d'avoir préparé un hologramme à l'attention de Tony, dans le cas où les choses viendraient à dégénérer.

- Malheureusement je ne l'ai pas avec moi. Il est dans le protocole sécurisé d'une IA que j'ai préféré éviter d'amener pour que Tony ne sache pas où je me trouve. Déclare-t-elle en agitant légèrement la main, imaginant déjà la rage du milliardaire s'il venait à apprendre où elle se trouve, et surtout pourquoi.

Mais, en l'occurrence... il n'en saura rien. Donc.

- Je ne pense pas que Fury ait notifié tous les souvenirs que j'ai perdus depuis mon enfance, car il n'en a sans doute pas plus d'idée que moi. Il n'a a priori mentionné que ceux que le SHIELD m'a intentionnellement faits perdre et qui concernent principalement Bucky Barnes, tout ce que j'ai vécu à ses côtés depuis... la seconde guerre mondiale. Ce qui inclut nos rapports, notre relation, la plupart des missions que nous avons effectuées ensemble également.

Ce qui commence mine de rien à faire un bout de temps, et fort probablement un gros paquet de souvenirs également... Et cela n'est que la face émergée de l'iceberg. Car à cela...

- A cela s'ajoute tout ce que la Red Room a également pris soin d'effacer et qui remonte sans doute jusqu'à ma naissance, donc 83 ans environ... pour peu que ces souvenirs là soient juste également.

En gros... dire que Natasha n'a aucune certitude sur rien, même pas sur son âge, est un doux euphémisme.

- Heureusement que non... Murmure-t-elle visiblement plus pour elle même que pour lui, alors qu'elle lui emboîte le pas.

Si tout le monde était comme elle... la population serait déjà réduite de moitié à vrai dire. Donc, a priori, il est plutôt heureux que ça ne soit pas le cas. Mais le soupçonnant d'être aussi tranché qu'elle selon les situations rencontrées, il voit peut-être ce principe d'un bon oeil. Car, et ça Natasha ne le contredira pas là-dessus, si toutes les pourritures du monde pouvaient être ou étaient éliminées, d'une part cela ferait un bon gros chiffre en moins sur les tableurs, et de plus le monde ne s'en porterait que bien mieux, c'est une évidence. Malheureusement... tout le monde ne voit pas les choses sous cet angle.

Tirant distraitement la chaise vers elle, Natasha prend place tout en écoutant les explications de son hôte. Minutieusement -c'est aussi ça qu'elle a toujours apprécié chez lui- Fatalis lui explique le déroulé précis de l'opération magique à venir. Comment ça va se passer, comment il va procéder, ce qu'elle va avoir à faire de son côté aussi. Ca promet d'être... long.
Elle acquiesce en silence et prend une grande inspiration tout en fermant les yeux lorsqu'il approche la main de sa tempe.

Lorsqu'elle rouvre les paupières, elle se prend une droite en pleine tête. HEY. C'est quoi ce bordel ?! Mais... c'est que ça fait mal en plus ! Déboussolée, l'agent ne sait ni où elle est, ni contre qui elle se bat, et encore moins pourquoi.
Esquivant de justesse le nouveau coup qui fuse vers elle, ses prunelles d'émeraudes dévient vers Fatalis qui se tient au milieu du ring, mais que personne ne semble voir. Elle n'a aucun problème de son côté. Elle le voit, elle sait qui il est et elle sait pourquoi ils sont ici. Pour l'instant, tout est ok. Mais... ce n'est que le début.

- Je ne sais pas. Répond elle assez platement en esquivant un autre coup.

Une seule phrase qui résume à elle seule toutes les questions qu'il vient de lui poser. Elle n'en a pas la moindre idée. Mais alors... aucune.
C'est alors qu'elle se reprend un nouveau coup, en plein sur le nez, l'os craquant sinistrement, indiquant qu'il vient d'être réduit en miettes. Natasha pousse un cri de rage. Parce qu'elle a réellement l'impression qu'on vient de lui péter le nez en douze morceaux... Si tout le voyage de Fatalis est du même acabit, ça risque d'être vraiment beaucoup plus compliqué à gérer que prévu.

Elle esquisse, elle pare, mais elle peine. Pourquoi peine t'elle autant... normalement elle devrait plier ce guignol en deux temps trois mouvements. Mais là non. Non. Il a le dessus. Pourquoi ?!
Ses mâchoires se crispent et le sorcier attire de nouveau son attention sur ce point névralgique, cet état de fait qu'elle vient précisément de constater. Oui... ça n'est pas normal. Pourquoi est-elle aussi faible...

Son regard balaye l'endroit et soudain.

- Je suis droguée.

A ce constat, devant ce souvenir qui imprègne de nouveau son esprit, l'espionne a un long temps d'arrêt. Dont son adversaire en profite, bien entendu, pour lui briser une côte supplémentaire en rouant son flanc de coups.
Oui c'est ça ! ça lui revient maintenant !

- C'était une base de l'ancien état major de l'ex-URSS. Commence t'elle en esquivant un coup, sans regarder Fatalis pour éviter de perdre encore un os, même si c'est bien à lui que s'adressent ces mots.

- Ils étaient en collaboration avec la Red Room qui leur fournissait des soldats optimisés, des technologies biologiques et chimiques, entre autres. Ce ring c'est en fait...

Les sourcils de Natasha se froncent sévèrement, alors qu'elle décoche un coup de poing rageur en plein dans le nez de son assaillant. Ca c'est pour tout à l'heure mon gars.

- ...une vente aux enchères. Les gens comme moi étaient soumis à un certain nombre d'épreuves, pour voir jusqu'où poussaient leurs compétences. Nous étions drogués, affamés, entravés, sans arme, et tout un tas de pratiques tordues du genre pour voir si nous étions aptes quelles que soient les circonstances. Et si tel était le cas, l'ancien état major posait une option sur ses soldats ou agents préférés, et ils leur étaient loués par la Red Room, qui ne vend jamais ses jouets de manière définitive, bien entendu. Donc... si je ne me trompe pas... Elle esquisse un nouveau coup et tacle l'arrière du genoux du soldat russe d'un coup de talon bien senti. Et oui... ça fait mal hein. ...là je dois avoir dans les quatre grammes de métamphétamines dans le sang. Ce qui tuerait n'importe quelle personne normalement constituée.

A peine dit-elle ces mots, qui semblent officiellement sonner le retour de ce souvenir précis, que toute la scène se fige. Natasha reste interdite quelques secondes, restant encore sur ses gardes alors que ses paupières se plissent tandis qu'elle toise son adversaire qui a été stoppé comme une statue de sel et dans une position pas très glamour à vrai dire.

- Incomplète ?

Natasha lance ce mot d'un air perplexe, alors que son regard, habitué à analyser vite et bien les situations qui se présentent à elle, balaye les alentours. Les quelques "personnalités", commandants déchus et combattants oubliés, qui se massent autour de l'esplanade faisant office de ring, les soldats, arme au poing, qui veillent un peu plus loin, et même les quelques snipers disposés ça et là dans les étages, dans le cas où lui viendrait l'idée saugrenue de tenter de fuir.

Ses prunelles passent rapidement des uns aux autres, de l'un à l'autre, mais ne se fixent à aucun moment sur l'essentiel : celui qu'elle combat, celui qu'elle combattait ce jour là.
Est-ce parce qu'elle a d'office mis sa faiblesse sur les effets de la drogue, et qu'elle a par conséquent rayé son importance de l'équation ? Ou est-ce plutôt parce que son subconscient sait précisément de qui il s'agit et fait tout pour éviter d'en avoir une quelconque confirmation...? A cet instant, cela est bien difficile à dire.

Un coup de pied la ramène à l'instant présent, alors que le soldat se retrouve de nouveau en capacité de bouger, quand le reste de la scène reste obstinément figée sous le pouvoir de Fatalis.
Extirpant un juron, Natasha essaie de contre-attaquer tout en fixant les mouvements de son adversaire, jamais son visage. Ses mâchoires se crispent lorsque la lame pénètre le muscle de son avant bras, avant qu'un coup de poing à la force surhumaine ne l'envoie bouler à l'autre bout du ring.

Pestant contre sa faiblesse et son manque d'agilité, l'espionne se relève tant bien que mal et pose les yeux pour la première fois sur son adversaire, tandis que la voix de Fatalis lui parvient, la poussant à analyser ce qu'elle ne voulait pas voir, ne voulait pas regarder jusqu'à présent.
Son regard se pose enfin sur celui qu'elle affronte et ses lèvres s'entre ouvrent légèrement lorsqu'elle constate qu'il n'a... pas de visage. Comme si ses traits avaient été gommés, comme si la brume recouvrait ses traits pour en dissimuler la véritable nature.

- Non...

A peine murmuré, presque comme un soupir, alors qu'elle distingue enfin l'imposante étoile rouge qui trône sur le bras métallique, qui fonce droit vers elle à grande vitesse, une fois encore.

Elle esquive.
Plus finement.
Plus brillamment.
Plus efficacement que les fois précédentes.

- Non...

Elle pare.
Elle bloque.
Saisit le bras métallique en lui inculquant une torsion.
Sèche, brutale.
Trop brutale.
Peut-être plus brutale que ce jour là, en définitive.

- Non.

Elle s'envole, littéralement dans les airs.
Elle danse.
Balerina.
Natalia.
Sa jambe tente de percuter sa nuque.
Il bloque sa cheville et la stoppe en plein mouvement.
Et c'est là.
Là qu'elle les voit.
Les traits de son visage, qui crispent instantanément les siens quand elle comprend.
Quand elle accepte enfin la réalité.

- NON !!!

Leurs poings s'élancent mutuellement vers le visage de l'un et de l'autre.
Semblant en parfaite symbiose, en parfait accord, d'un même élan, sans doute d'une même force ou, du moins, avec tout autant de conviction.
Les phalanges craquent lorsqu'elles percutent les os de leurs mâchoires et chacun s'étale de tout son long sur le sol, à quelques centimètres l'un de l'autre.

Natasha fixe le plafond. Ses paupières semblent s'alourdir, alors que son regard se fait contrit, pour finalement les laisser reposer délicatement sur ses yeux.
Bucky... leur première rencontre. Mais dans quelles circonstances...

Natasha reste allongée et fixe le plafond qui s'étend au-dessus d'elle. Le plafond ? A moins que ce ne soit le ciel. Ou peut-être encore autre chose. En définitive... elle n'en a pas la moindre idée, n'y fait absolument pas attention et ne se pose même pas la question.

Quelques images se pressent dans son esprit.
Elles ne sont pas agressives, pas réellement intrusives. Pour l'instant, du moins. Elles se contentent juste... d'être là. Elles apparaissent soudainement, mais elles se fondent si naturellement dans le paysage que sont ses souvenirs, que l'on dirait qu'elles ont toujours été là. Ce qui n'est pas entièrement faux... dans un sens.

La plupart des scènes qui lui reviennent en tête sont incomplètes. Peut-être parce qu'elle n'y prend simplement pas garde sur le moment, peut-être parce que son cerveau est doucement mais sûrement en train d'être poussé vers une activité cérébrale qui n'est pas normale, n'est pas naturelle, ou peut-être encore parce qu'elle est bien trop focalisée par les sensations, les impressions, les... sentiments qui émergent de nouveau, Natasha ne s'en rend pas réellement compte.

Des moments d'intimités troublants, gênants... qu'elle avait totalement oubliés. Une complicité, bien réelle, qu'elle avait rejetée d'un revers de la main la dernière fois qu'ils s'étaient vus, il y a à peine quelques semaines. Deux, tout au plus.
Ses paupières se ferment quelques instants. Ce sont ses souvenirs. Ils lui appartiennent... à n'en point douter. Et pourtant... si elle ne renie pas les sentiments qui refont surface à cette minute, elle éprouve un immense soulagement. Un soulagement car les émotions qu'elle avait égarées, qui s'étaient perdues dans les méandres de son esprit à cause du SHIELD, ne remplacent pas ceux qu'elle éprouve aujourd'hui pour lui... pour Tony.
C'était sans doute sa plus grande crainte. Ca et... se souvenir du mal qu'elle aurait pu causer et dont elle ne se souviendrait pas.
Bien sûr, se souvenir d'un coup, comme ça, sans préavis, de sentiments que l'on a pu entretenir pour quelqu'un d'autre, reste quelque chose de perturbant. Mais pour autant... ils semblent appartenir à un passé révolu aujourd'hui. Qu'il eut été oublié, ou non.

Les missions se succèdent sous ses paupières closes. Comme si elle assistait à un film, tranquillement installée dans le moelleux fauteuil d'une salle de cinéma. Mais quelle étrange sensation... lorsque le film en question n'est autre que des pans entiers et disparates de votre propre existence.
Amoureuse de Bucky puis faussement de Novokov, puis de nouveau de Bucky, alors que le visage de Tony se juxtapose à tout cela sans la moindre raison.

Les sentiments se mêlent, se bousculent, à tel point qu'elle est obligée de rouvrir les yeux. Brusquement elle se redresse. Et si rien ne se passe dans son esprit, rien de plus qu'une mine crispée et des traits tirés, dans la réalité il en est cependant tout autre lorsque l'espionne rend tripes et boyaux dans la salle d'audience de Fatalis, manifestant le premier symptôme de répercussions qui s'avèreront bien plus graves dans les heures à venir. Mais dans son esprit, elle presse juste sa main contre sa poitrine, mal à l'aise. Rien de plus.

Lorsque sa main relâche la pression qu'elle exerçait sur son buste, le décor change brusquement et elle se retrouve le cou enserré par la poigne de quelqu'un, un revolver sur la tempe.
Il pleut... il fait froid... elle a... peur ?
Ses paupières se ferment à nouveau. Brièvement, l'espace de quelques secondes.

*Ce n'est qu'un souvenir... tu es dans ton esprit... calme-toi... calme-toi...*

Elle a beau tenter de calmer des nerfs à fleur de peau, rien n'y fait sur le moment. Plus que de se sentir faible, elle se sait faible. Elle perçoit qu'elle ne peut rien faire. Qu'elle ne doit surtout rien faire. Pourquoi... Tout cela n'a aucun sens.

Ses mâchoires se crispent alors que la voix du sorcier lui parvient. La fin... comment est-ce que ça s'est terminé... si seulement elle avait la plus petite idée.

*Réfléchis Natasha... Allez bon sang... calme-toi... Qu'est-ce qu'il s'est passé avant ça... qu'est-ce qui t'a menée à ça...*

Novokov... la traque... le lavage de cerveau... la tuerie du SHIELD quand elle a... quand il... lorsque Sitwell a pris la balle qui était destinée à Fury. La balle...? Non... plusieurs. Trop de balles. Elle les entend encore. Comme si c'était hier cette fois... ce traumatisme... on s'est bien assuré de le lui laisser par contre.
Puis c'est le retour auprès de Novokov... le premier chantage... une bombe. Une bombe qu'elle était prête à déclencher avec lui... à faire exploser sur Washington DC, prête à... tuer des milliers de civils.

Le visage de Natasha se crispe un peu plus.

Fury... Elle rouvre les yeux alors que le directeur du SHIELD de l'époque, Nick Fury, se tient à quelques mètres d'eux. Le flingue de Novokov est toujours braqué sur sa tempe. Mais... il manque quelque chose. Elle sait... qu'il manque quelque chose.

Et c'est là qu'elle le voit. C'est là qu'elle perçoit ses traits. Barton.
Les pourtours de son visage ont beau être baignés par les ombres, elle le sait. Elle le discerne. Elle le reconnaitrait n'importe où, dans n'importe quelle situation, même de dos et dans l'obscurité la plus totale s'il le fallait.

Son ancre.
Bien plus que Bucky ou Matthew.
Bien plus que Tony... même si ça le contrarierait sans doute énormément de l'entendre.
Il a toujours su la ramener.
Il a toujours su la guider.
Son ancre.

*Allez mon grand... c'est maintenant que j'ai besoin de toi... me lâche pas okay...*

Cette pensée est absolument ridicule, elle en a conscience. Clint n'est pas là. Pas plus que Novokov. Ni même elle... dans un sens. Alors il ne peut intervenir d'aucune manière.
Peut-être est-ce là le moyen qu'elle a trouvé pour se sortir de cette pénible situation. Peut-être est-ce là... le seul moyen de se sortir de cette situation. Et quelle que soit la raison... cela fonctionne. Car Barton... est son ancre. Même dans son esprit.

Le décor se meut rapidement en une scène tout d'abord confuse, puis de plus en plus nette. Une troisième personne se dirige vers eux. Vers elle, que Novokov utilise comme un vulgaire bouclier.
Bucky émerge des ombres. Puissant, dans un mouvement si rapide que ses prunelles peinent à le suivre. Il est armé. Il vise. Il la vise.

Le regard de Natasha s'exorbite. Il ne va quand même pas... Même pour atteindre Novokov... il ne va pas... Non. Impossible. Il n'oserait pas. Il... il ne peut pas faire une chose pareille.
Et pourtant. Une flèche s'enfonce profondément dans le bas de sa jambe, lui extirpant un cri de douleur alors qu'elle ploie le genoux dans un réflexe. Une détonation résonne dans l'air alors que l'ample chevelure de Natasha se répand sur le sol et que l'espion de l'ex-URSS s'écroule, une balle fichée entre les deux yeux.

Les paupières de la rousse tremblent alors que la pluie semble redoubler.
Elle en est sûre. Elle en est certaine... Si... Si Barton n'était pas intervenu... il aurait tiré. Il l'aurait vraiment fait. Pour atteindre Novokov... il l'aurait tuée ou gravement blessée, dans le meilleur des cas.

Ses mâchoires se serrent alors que son regard s'embue. S'embue de larmes invisibles, de larmes qui ne peuvent s'écouler dans son esprit, mais dévalent prestement ses joues dans la réalité.
Car ce pan de souvenir ne sonne pas que cette terrible réalité là. Elle en annonce une autre... qui est quelque part encore pire.

Alors qu'elle était en Russie pour rencontrer Taskmaster. Alors que tout était enfin terminé, pour ce jour là, tout du moins... Quand elle lui avait posé sa question. Une seule question. Elle ne demandait que la vérité... rien que la vérité. Et au lieu de cela...

Son poing percute le sol avec fracas. Dans la réalité elle se serait sans doute explosé quelques phalanges au passage.

- Barton... tu m'as menti.

Natasha a l'impression de perdre l'esprit. De se perdre dans son propre esprit. Et c'est vraiment peu de le dire...
Revivre des moments qui lui appartiennent, mais dont elle n'a plus le moindre souvenir.
Récupérer une partie d'entre eux, mais se rendre compte qu'elle est difficilement capable de discerner la vérité, la réalité, du fantasme ou de la projection.
Que le passé se fasse bousculer par le présent, qui ne semble pas très enclin à lui céder quelle que place que ce soit, comme s'il lui disait "t'as raté ton tour mon gars". Quelque chose qu'il ne serait pas invraisemblable d'entendre dans la bouche de Tony par ailleurs.
Vivre une situation, tenter de se la remémorer, interpréter à tort ou à raison.
Revivre la même scène, encore.
Les mêmes états d'âme, encore.
Mais se retrouver face à une conclusion qui, si elle en a les mêmes pourtours, est cependant orchestrée de manière différente.
Et puis prendre la place d'un autre. Peut-être ? Oui, certainement...
Vivre les choses de l'extérieur, comme si elle violait l'esprit d'un autre.
Et elle a horreur de ça. Qu'elle a... horreur de ça.

Elle est perturbée. Vraiment perturbée. Car Taskmaster... avait raison, en définitive. Pour la flèche dans sa jambe. Pour Novokov, sauvé par le SHIELD. Pour son emprisonnement en stase dans une cuve en Russie. Pour l'instant... par rapport aux certitudes qu'elle a véritablement acquises depuis leur rencontre... il a avait raison. Sur tout.
Et ça aussi... elle déteste ça.
Elle déteste ça, profondément.

Le retour à la réalité est sévère. Plus sévère qu'elle ne l'avait envisagé.
A vrai dire... comment aurait elle pu sérieusement, concrètement et surtout avec justesse, prévoir comment la suite allait se dérouler...
Ce n'est pas sa première expérience avec la magie. Mais ce n'est techniquement que la seconde. Et il est d'ores et déjà évident que les méthodes de Strange et de Fatalis diffèrent totalement. Le procédé est différent. Le style de magie est différent. Et la raison pour laquelle elle était venue trouver l'un et l'autre, est aussi on ne peut plus différente.
Alors, forcément, tout est... différent et rien n'est... prévisible.

Elle n'entend pas vraiment le premier mot qui passe la barrière des lèvres du sorcier.
Sa tête tambourine, le coeur est au bord de ses lèvres, encore, et elle a toutes les difficultés du monde à conserver un tant soit peu de stature et à ne pas s'écrouler comme un vulgaire château de cartes.

- Je...

Les doigts de Natasha s'élèvent vers sa tempe qu'elle masse quelques secondes, tout en fermant les paupières.

- Je... ne sais pas vraiment à cette minute. Finit-elle plutôt laborieusement par répondre, quand il demande s'il lui reste quelques zones d'ombres.

Car à cette minute... au risque de passer pour la chochotte qu'elle n'est pourtant pas en temps normal, l'espionne aurait tendance à dire qu'elle a son compte pour aujourd'hui. Elle en bave tellement, qu'elle irait sans doute même jusqu'à dire que si zones d'ombres il réside encore, tant pis, elles y resteront.
Paroles qu'elle regretterait sans doute plus tard. Mais là... elle n'en supportera guère d'avantage.

Plus par réflexe qu'autre chose, Natasha saisit la main tendue et se relève en manquant de valdinguer quand la tête se met à lui tourner.

- Je m'en sortirai. Vous savez ce qu'on dit... Les héros ne meurent jamais vraiment. Lâche-t-elle dans un sourire en coin, alors qu'elle se retient au dossier de la chaise.

Ca où "les mauvaises herbes repoussent toujours", au choix. Et si on aurait sans mal pu utiliser cette seconde expression la concernant il y a quelques années de cela, aujourd'hui elle se targue que ce soit la première qui prime.

- Je vous remercie pour votre aide. C'est quelque chose qui était hors de ma portée, et grâce à vous... me voilà un peu plus complète. Dit-elle en posant enfin un regard un peu embrumé sur lui, avant de poursuivre. Je vous suis redevable. Alors si vous avez besoin de quelque chose, vous avez mon numéro.

Black Widow paye toujours ses dettes, quelles qu'elles soient. Et avoir un service de sa part dans le creux de sa manche, peut parfois et selon les situations, s'avérer bien utile.

- Je vais vous prier de m'excuser car là je pense que... une sieste s'impose. Ouais... voilà... dormir un peu... ça va être bien... Ouais bien...

Elle sent qu'elle commence à perdre pieds, et la façon dont elle parle en est un flagrant exemple. Car on ne l'entend pas souvent (jamais ?) s'exprimer de la sorte.
C'est dans un mouvement un peu gauche qu'on ne lui voit pas souvent non plus, qu'elle se détourne de lui sans plus d'ambages, alors qu'en temps normal elle aurait procédé différemment.
Escorté par la même équipe de drones qu'à l'aller, Natasha quitte l'ambassade, hélant le premier taxi qui passe à sa portée.