L'ennemi d'hier [Cyclope - Magneto]

▬ Je viens voir Magneto.
▬ Ah ouais ? J'aimerais bien voir ça, tiens !

L'endroit n'a pas été difficile à trouver.
Le maître du magnétisme est beaucoup de choses, mais il n'est pas quelqu'un de discret.
Ainsi peut-on s'attendre à ce que ses quartiers généraux successifs soient à la mesure de ses ambitions.
C'est notamment le cas avec Avalon, anciennement connu comme l'astéroïde M - même lui ayant semble-t-il fini par penser que frapper un corps céleste de son initiale était peut-être en faire un peu trop.
De rapides recherches avaient suffi à apprendre qu'il avait récemment été remis en orbite ; une position idéale pour qui se pense au-dessus du genre humain et entend le juger pour ses crimes. Le geste était symbolique ; Magneto avait repris ses vieilles habitudes.
Comme si rien n'avait changé.
Le trajet n'a pas été long : se rendre par-delà la stratosphère est devenu étrangement facile au fil des ans.
Il savait devoir s'attendre à croiser quelques obstacles sur sa route, mais rien qu'il ne puisse surmonter.
Au point même d'avoir gardé sa tenue civile plutôt que de passer un uniforme.

▬ Je n'ai pas de temps à perdre.
▬ Et alors ? Tu crois qu'tu m'fais peur ?

Fred Dukes, dit Blob. L'une des premières recrues de la fameuse Confrérie des Mauvais Mutants, s'étant obstiné à en faire partie dans la plupart des itérations qui ont suivi. L'un des éternels sbires de Magneto, donc, toujours là quand il a besoin de lui. Une loyauté qui pourrait presque forcer le respect si elle n'était pas le fruit d'une confiance mal placée.
Il ne l'intéresse pas ; ce n'est pas lui qu'il est venu chercher.
À l'évidence, Blob est le seul garde en faction ; non qu'il y ait vraiment la place pour en mettre un autre devant la porte, son corps massif suffisant à obstruer le passage du simple fait d'être là. Le colosse est aussi immense que dans son souvenir, et l'enveloppe de son ombre - mais Cyclope ne bronche pas, se contentant de porter la main à ses lunettes.

▬ Dernier avertissement.
▬ Sinon q...

Blob arbore son gabarit avec fierté ; il a confiance dans le fait qu'on ne puisse le faire bouger sans son accord. Blob a tort, et le faisceau surpuissant qui le frappe de plein fouet a tôt fait de le lui prouver, l'envoyant voler à travers la porte avant qu'il ait pu ne serait-ce que chercher ses appuis. S'il reste en travers du chemin, au moins a-t-il le bon ton de s'évanouir à l'impact ; la voie est libre.
Magneto sait qu'il arrive - il l'a prévenu de son arrivée. Il ne sert à rien d'être discret.
Plus qu'à aller visiter ce qu'il suppose être la salle du trône.

▬ Erik, le salue-t-il, enjambant un bras potelé pour entrer. Je ne suis pas venu pour me battre.

Et ce quoi que le corps boursouflé qui jonche le sol puisse laisser penser.

Pas Magneto, pas Magnus.
Erik.
La façon dont il s'adresse à lui a, elle aussi, été minutieusement étudiée. Ce nom n'a pas été choisi au hasard. Oh, l'identité civile du meneur de la Confrérie n'est pas un secret : voilà longtemps qu'elle figure dans la base de données des X-Men. Peut-être même en a-t-elle toujours fait partie, même avant leur création officielle. N'importe lequel d'entre eux peut librement y avoir accès, se renseigner sur les ennemis qu'ils seront peut-être amenés à combattre.
Mais...
Il est un ennemi des X-Men - l'un des plus dangereux, encore bien.
Il a blessé voire tué plusieurs d'entre eux, commis des crimes qui pourront jamais lui être pardonnés - et s'il a un temps pu être de leur côté, ça ne semble plus être le cas désormais.
Alors qui, parmi eux, se permettrait de l'appeler de cette manière, d'être aussi familier ? Qui pourrait en avoir envie ? Xavier... Et lui, fut un temps. Mais maintenant... Et bien, il va vite être fixé. Toujours est-il que ce choix a déjà de quoi interpeller.
C'est bien là l'objectif.

Les mots seront important ici. Ceux qu'il choisira d'employer pourront faire toute la différence.
Il doit prendre garde à ne pas trop en dire, à ne pas révéler son jeu.
Par chance, il connait bien le maître du magnétisme : d'une certaine manière, celui-ci a fait de lui ce qu'il est, presque autant que Xavier avant lui. Cyclope ne l'ignore pas, bien qu'il lui ait fallu longtemps pour réaliser ce qu'il lui doit.
L'un des rares bienfaits réels de ce qu'il a traversé - mais est-il le seul à l'avoir fait ?
Oui ; il est temps d'être fixé.

▬ Quand nous sommes-nous vus pour la dernière fois ?

▬ Comprendre.

Scott fait pivoter le casque - le « cadeau » que Magnus vient de lui faire - dans sa direction, pour lui faire face. En effet, celui-ci ramène de mauvais souvenirs : combien de fois ne l'a-t-on pas équipé de l'une de ces choses lors de leurs (més)aventures, pour le neutraliser ? La dernière en date, évidemment, étant celle où on l'avait incarcéré - après qu'il ait commis l'irréparable.
Emprisonnement dont Magneto était, ironiquement, celui à l'avoir libéré. Se donnerait-il encore cette peine aujourd'hui, à la lumière de tout ce qui avait suivi ? En garde-t-il seulement le souvenir, et si oui, est-ce le même que le sien ? Autant de questions auxquelles il espère des réponses en venant ici, en se présentant devant lui.

Il fait peu de cas de ses reproches au sujet du Blob - qui baragouine un « désolé patron » avant de s'effondrer pour de bon. Est-il vraiment bien placé pour lui reprocher d'avoir blessé un frère mutant, lui qui a tant de fois lancé les siens à leurs trousses, quand il ne venait pas lui-même leur chercher des crosses ? Une contradiction que Scott ne se serait pas privé de pointer du doigt d'ordinaire, mais il serait contre-productif de réveiller de vieilles tensions.

Les deux hommes ont une relation compliquée. Longtemps ennemis et rien d'autre, ils avaient appris à se connaître davantage au fil des années - et à se respecter. C'était à travers lui, et les nombreuses batailles qu'ils avaient mené, que Cyclope avait ouvert les yeux, commencé à voir les nuances au lieu de s'en tenir à un point de vue manichéen. Qu'il ne s'agissait pas que de déterminer qui a tort et qui a raison, et que chacun avait de solides arguments - ce qui ne l'a pas empêché de choisir le camp de Xavier, encore et encore.

Fut un temps, le professeur avait émis l'hypothèse que son vieil ami puisse être envieux de leur relation - aurait voulu avoir un apôtre prêchant de la sorte pour son église, lui aussi. Oh, il avait ses propres fidèles, mais ceux-ci tenaient davantage du zélote que du prédicateur ; ils embrassaient sa cause par foi aveugle plus que par conviction personnelle. Même lui devrait admettre que beaucoup d'anciens membres de sa Confrérie étaient des brebis égarées, qui l'auraient suivi n'importe où pourvu qu'il soit leur berger.

Thanos, Iron Man... Des noms familiers, mais les événements dont parle Magneto, eux, ne le sont pas. Probablement n'était-il déjà plus là pour le voir, à moins que la personne ayant jugé utile de le ramener ait aussi fait le tri dans sa tête. L'idée n'est pas pour lui plaire.

▬ Je suis presque sûr d'être mort. déclare-t-il d'un ton factuel, détaché. Il n'est pas le premier mutant à faire le grand voyage dans un sens puis dans l'autre, quand bien même c'est inédit dans son cas. Et pourtant, je me suis réveillé dans un institut qui n'existe plus depuis longtemps, entouré de personnes qui ne devraient pas être là. Et personne ne se rappelle de rien.

Personne à part moi.
Jusqu'à preuve du contraire, du moins, mais on ne peut pas dire qu'il se soit réellement attardé.
Scott est un stratège : analyser tous les éléments à sa disposition et s'en servir pour produire un plan d'action est ce qu'il fait de mieux. Confronté à une situation qui défie la logique, il est bien normal qu'il soit parti chercher des explications - même si cette quête doit le mener dans la gueule du loup.

Sous le heaume, il peut presque entendre les rouages de l'esprit d'Erik se mettre à tourner ; réfléchir à l'usage qu'il peut faire de ces informations. Même lorsqu'ils étaient « alliés », le maître du magnétisme ne s'est pas privé de garder un coup d'avance à de nombreuses occasions, parfois même à leurs dépens. Pourquoi en serait-il autrement, maintenant qu'il semble vouloir retomber dans ses vieux travers ?

Insensible à la pression que Magneto parait vouloir lui imposer, il repose le casque sur l'une des piles de métal amassées par celui-ci dans sa salle du trône - autant d'armes dont il pourra se servir, si on vient le défier au siège de son pouvoir. Peut-être estime-t-il d'ailleurs que c'est ce que Cyclope est en train de faire, mais il n'a semble-t-il pas encore décidé de le tuer sur place ; autant en profiter.

▬ Charles est vivant.

▬ Épargne-moi tes sarcasmes. réplique-t-il - sans animosité, cependant.

Puisque Magnus semble bien décidé à revenir aux anciennes méthodes, raviver leur ancienne rivalité, si déplorable que ce soit, il lui faut bien le laisser remettre en place le décorum qui convient.
S'imagine-t-il qu'il puisse ne pas savoir qui est Martin Luther King ? Qu'un seul mutant au monde puisse ne pas le connaître ? Tôt ou tard, chacun d'eux était confronté à la ségrégation, sans exception aucune. S'ils sont bien renseignés sur le sujet, ce n'est pas dans un souci de culture - c'est une question de survie.

Ainsi donc, le maître du magnétisme est déjà au courant. Il avait appris, d'une manière ou d'une autre, que son vieil ami est toujours vivant dans ce nouveau monde, si l'on peut l'appeler ainsi - confirmant que malgré une volonté affirmée de se dresser à nouveau face à lui, il s'inquiète encore de son sort. C'est toujours la même vieille histoire.

C'est bien ce qui a toujours rendu leur opposition aussi compliquée. Au fond, ils se battent pour la même chose - ils ne le font juste pas de la même manière. C'est ce qui fait qu'ils peuvent parfois mettre leurs différends de côté, pour triompher d'un ennemi commun ; c'est ce qui fait qu'ils ne pourront jamais être en parfait accord. Mais le problème est toujours le même, lui aussi : les mutants sont déjà si peu nombreux qu'on ne peut se permettre de les diviser encore.

Magneto lui raconte l'histoire de Krissy Edwards, la dernière victime de cette guerre qu'ils livrent au quotidien - dont l'enjeu n'est autre que de garder le droit de vivre. Une tragédie devenue tristement banale. Ses poings se serrent et sa mâchoire se crispe, mais il ne révèle rien de sa colère pour ne pas donner à son vis-à-vis les moyens de l'exploiter.

▬ Qu'est-il arrivé ?

Il le connait assez pour savoir qu'il ne servirait à rien de se dire désolé ; que ce ne seraient que de vaines paroles aux oreilles de celui qui revendique encore à l'instant sa préférence pour les actes. Derrière ses verres de quartz-rubis, il baisse les yeux. Si ce « retour en arrière » ne pouvait pas avoir tout arrangé, et lui a déjà beaucoup offert, une partie de lui espérait peut-être que les choses soient un peu meilleures pour les mutants que... De là où il vient. Qu'avant sa mort. Apparemment non.

▬ Certaines pertes ont pu être évitées, dit-il, prenant soin de ne pas mentionner Jean, mais les effectifs des X-Men restent limités. Les choses sont meilleures que ce qu'elles ont pu être, mais ça n'a pas tout arrangé.

Se rendre compte qu'il a dit « les X-Men » plutôt que « nous » lui déplait, mais il est trop tard pour se corriger. Quand a-t-il cessé de se considérer comme tel ? Ou est-ce de ne pas savoir s'ils sont différents des siens, de ceux qu'il a connu qui le pousse à placer cette distance... ?

Il ose croire que Magneto aura la délicatesse de ne pas le pointer du doigt, surtout après qu'il ait lui-même fait en sorte de ne pas mentionner le M-Day explicitement.
Car s'il a été catastrophique pour le genre mutant dans son ensemble, il est fort possible qu'Erik en ait été le plus affecté. Wanda est peut-être sa fille, et peut-être n'était-elle pas dans son état normal lorsque cela s'est produit, mais... Le connaissant comme il le connaît, Cyclope doute qu'il puisse jamais la pardonner tout à fait.
Pas après ça ; pas après lui avoir fait revivre les heures les plus sombres de son histoire.

Ce que Scott formule ici, ce n'est pas une excuse : c'est un fait. La conséquence directe de ce sombre événement qui continue de les hanter, ainsi que leur peuple tout entier. L'on pourrait croire qu'il n'est guère judicieux de dévoiler leur faiblesse à l'ennemi - mais celui-ci n'est pas mieux loti ; il se doute que ses rangs sont tout aussi clairsemés.

▬ Je ne sais pas vraiment par où commencer. Je me suis réveillé il y a deux heures à peine. Je ne sais pas si je suis apparu de nulle part et que tout le monde a réagi comme si j'avais toujours été là, ou s'il y avait un « autre Scott » et que j'ai pris sa place.

Les X-Men - et leur leader avec eux - avaient rencontré assez d'anomalies spatiales et temporelles au fil du temps pour qu'il ne puisse toutes se les rappeler, mais rien ne prépare à voir sa réalité être réécrite ; ce n'est pas comme s'il y avait des règles précises à ce sujet, une logique à laquelle se raccrocher. Pour un esprit cartésien comme le sien, il n'y rien de plus détestable.

▬ Quant à Charles, je... N'ai pas encore vraiment pris le temps de lui parler. Je ne saurais pas par où commencer.

Il est difficile de cacher un certain malaise, même pour lui. Comment est-il censé aborder l'homme qu'il a lui-même tué à son retour de la tombe ? Ce père adoptif, ce précepteur qu'il a assassiné - dont le sang est sur ses mains, même si ce n'est pas lui qui les contrôlait ? Et ce que sa mort a entraîné... Non, il n'est pas prêt à lui parler - ne sait s'il peut vraiment l'être, après tout ce qu'il s'est passé.

Même s'il lui en coûte de l'admettre, de se l'admettre, la main tendue de Magneto est un soulagement. Bien qu'ils soient censés être ennemis - ou en tout cas le redevenir -, savoir que quelqu'un peut comprendre ce qu'il lui est arrivé, vit peu ou prou la même chose que lui l'aide à trouver ses repères dans cette nouvelle configuration.

À vrai dire... J'aimerais qu'ils n'en sachent rien. Il relève la tête, plantant ses yeux dans les siens au travers des verres teintés. Je pense que toi et moi, nous avons tout à gagner à ce qu'ils n'apprennent jamais cette partie de notre histoire. Ne serait-ce que pour ne pas devoir expliquer... Comment tout ça a pu tourner de cette façon.

Et c'est en bonne partie la raison pour laquelle il a quitté l'institut si précipitamment : il n'était sûr de rien, et surtout pas de sa capacité à protéger ses pensées et les secrets qu'elles recelaient dans un manoir empli de télépathes - jusque dans son propre lit.

Sommes-nous d'accord là-dessus ?

Sous le casque, il devine Magnus pensif. Par son discours, peut-être lui apporte-t-il de nouveaux éléments sur lesquels se pencher ; peut-être fait-il écho à ses propres interrogations, à des questions qu'il n'a pas encore osé se poser. Toujours est-il qu'il pense avoir au moins sa curiosité, sinon son attention : c'est tout ce dont il a besoin.

Il n'est pas seul, pas seul à se rappeler ; Scott le sait désormais, et c'est pour lui un soulagement : c'est un poids qu'il ne sera pas seul à porter. Au moins a-t-il la preuve qu'il n'est pas fou, qu'il n'a pas tout imaginé en un long cauchemar fiévreux dont il viendrait seulement de se réveiller. Tout cela s'est bien déroulé ; il est bien mort - et sa croisade avec lui. Une révolution qui n'a apparemment jamais eu lieu.

▬ C'est bon à entendre.

Certes, il y a une cruelle ironie à ce que l'autre mémoire épargnée appartienne au Maître du Magnétisme - à un ennemi, puisque c'est ce qu'il a choisi de redevenir -, mais il s'en moque : c'est déjà ça de pris.
Et s'il n'est pas sans savoir que cela pourrait facilement se retourner contre lui, ils ont mené trop de combats côte à côte - ont trop lutté pour leur survie et celle de leur espèce - pour qu'il puisse ne voir en lui rien d'autre qu'un adversaire. Un sentiment qu'il espère partagé, au moins en partie, sous les laïus acerbes et le jeu des apparences.
Ce que la suite de l'échange tend à lui confirmer, à moins que ce ne soit qu'un plan pour le rallier à sa cause - mais serait-ce bien le moment ?

Magneto lui narre alors l'histoire de Krissy Edwards, fauchée pour nul autre crime que d'être comme eux - que d'avoir été une mutante. Un corps de plus sur la pile ; une victime supplémentaire venant gonfler des chiffres déjà trop élevé. Son interlocuteur se montre avare de détails, l'invite à aller les chercher auprès de ses pairs, mais c'est assez pour que son visage se ferme - et ses poings aussi. Son combat a peut-être fini par le tuer, mais il n'y a pas pour autant renoncé.

▬ Je... Suis désolé de l'apprendre. Je me renseignerai. promet-il, sans plus épiloguer. Rien de ce qu'il pourrait dire en l'état ne serait pertinent, pas sans avoir pris connaissance de l'affaire, de ses tenants et aboutissants. Qu'en dire de plus, sinon de creuses banalités et de piètres excuses ? Désolé de ne pas avoir été là ? Non, ce n'est pas pour lui.

Ces X-Men dont on lui parle, sont-ils les siens ? Il est parti trop précipitamment pour s'en assurer - a fui des questions avant de savoir si on allait les lui poser, par précaution. Tout ce qu'il sait est qu'ils n'ont pas eu à porter le deuil du professeur - ou que celui-ci est, par un quelconque moyen, revenu de l'au-delà ; qu'il en va de même pour Jean. Qu'ils sont plus soudés que dans son souvenir - parce qu'il ne les a pas brisés. Ne sont-ce là que les diatribes habituelles de Magneto, ou y a-t-il de vraies raisons d'être déçu ?... Sans doute le saura-t-il bien assez vite :il n'a d'autre choix que d'y retourner - lorsqu'il aura un plan. Il ne s'engage sur aucun terrain sans savoir comment il va s'y prendre, mais pour cela, encore faut-il avoir toutes les données.

C'est alors que Magneto fait appel à sa puissance - à son don - pour ouvrir devant eux les entrailles de l'astéroïde ; pour l'emmener autre part par un sentier caché jusqu'alors. Un chemin que le leader des X-Men - puisque c'est ce qu'il semble être une fois de plus - emprunte docilement ; si son vieil ennemi avait voulu s'en prendre à lui, ce serait déjà fait : nul besoin de passer par une telle mise en scène, si prononcé que soit son goût pour ces dernières. Ce qui l'attend au bout n'est autre qu'un laboratoire, et il y voit la confirmation de son hypothèse : tout supérieur qu'il puisse vouloir paraître, Magnus aussi est en quête de réponses. Des réponses qu'il espère trouver en le passant au crible.

▬ Merci. fait-il en se tournant vers lui, avant de s'approcher des machines.

Erik a plus que lui la fibre de l'éloquence, aussi ne s'épanche-t-il pas davantage. Mais sa gratitude n'en est pas moins sincère. Cyclope a toujours été quelqu'un d'entier : ça au moins, ça n'a pas changé.

Scott ne sait pas ce qu'il est censé attendre de ces tests - ni quel est le réel usage de ces machines ; tout au plus peut-il espérer que Magneto le sait mieux que lui. Là encore, sa seule certitude est que son vis-à-vis ne se serait pas donné tant de peine s'il n'était question que d'essayer de le tuer, comme au bon vieux temps.

▬ Je ne sais pas vraiment, dit-il alors que les appareils se mettent tour à tour à ronronner tout autour de lui, que les premiers faisceaux balayent sa silhouette. Ce que je sais, c'est que ma mémoire ne correspond pas à ce que j'ai vu. Je ne sais pas si... Il hésite brièvement, sachant le sujet sensible, et cherche la façon la plus neutre de le formuler pour ne pas réveiller de tensions superflues. ...Si le professeur est revenu, ou s'il n'est jamais mort. S'ils m'ont pardonné, ou s'ils n'ont jamais eu de raison de m'en vouloir. S'il est plus tard ou... Plus tôt, je suppose, ou si ça n'a rien à voir. Il lève la main pour l'observer, pliant et dépliant ses doigts avec lenteur, comme s'il doutait encore de leur réalité. Je n'ai pas l'impression d'avoir vécu moins que ce que je devrais, d'avoir perdu quoi que ce soit, mais... C'est comme si tout était arrivé plus vite. Je me sens plus jeune. Je crois que je le suis.

Scott reste parfaitement calme alors que les machines s'affairent autour de lui. Tristement, ce n'est pas la première fois qu'il se retrouve à être examiné de tous les côtés dans le laboratoire d'un ennemi juré des X-Men : Sinistre et Apocalypse sont passés par là. Aussi ne manifeste-t-il aucune forme d'inquiétude, préférant se concentrer sur la conversation. Si les puzzles est encore loin d'être complet, les quelques pièces que lui en fournit Magnus lui permettent d'y voir plus clair.

Thanos, Iron Man, un univers détruit puis restauré...
Autant de choses qui ne font pas plaisir à entendre.
La seule évocation du premier aurait suffi à lui faire faire la grimace. Les X-Men ne sont assurément pas ceux à s'être le plus souvent confrontés au Titan Fou, mais Scott fait partie de ceux qui en ont eu le plus souvent l'occasion. Il était là la première fois que ce Gant a été porté, sait ce qu'il peut faire - qu'il ne devrait pas exister. Preuve en est donnée une fois de plus.
Quant au Vengeur blindé, qu'il ne soit - pour une fois - pas celui qui a le plus à se reprocher, ça ne suffit pas à le lui rendre sympathique. Il a eu beau connaître les conséquences positives que cela aurait pour les mutants, ses camarades ne s'en seraient jamais mêlés s'il n'avait pas été là pour les prévenir quand... Quand tout a brûlé.

Et du peu qu'il a pu en voir lors des rares occasions où ils se sont retrouvés dans la même pièce - principalement après qu'il ait été incarcéré comme terroriste, ce qui n'a certes pas dû aider -, le sentiment est mutuel. Aussi ne peut-il qu'être dubitatif lorsque Magneto partage avec lui son hypothèse.

▬ Je ne vois pas l'intérêt que Tony Stark aurait eu à me ramener, dit-il en haussant les épaules, peu convaincu. S'il y est pour quelque chose, c'est très certainement une erreur.

Une de plus. Mais il ne voit pas d'autre explication, aussi n'a-t-il rien à ajouter. Le mieux placé pour éclairer sa lanterne serait sans doute le premier concerné - si tant est qu'il se rappelle lui-même de la façon dont les choses se sont passé. Si bien intentionné que l'on soit, on ne peut manipuler de telles forces sans risquer d'en être soi-même victime. Et dire que c'étaient ces mêmes personnes qui l'avaient mis au ban de la société pour avoir cru qu'il pourrait apprivoiser la Force Phénix... L'ironie de la chose ne saurait lui échapper.

Alors qu'il médite sur tout cela et s'écarte des installations, les derniers résultats finissent par arriver. Confirment ce qu'il sait déjà en bonne partie, ce qui est rassurant et préoccupant à la fois : une partie de lui aurait préféré qu'il ait juste pris un mauvais coup sur la tête - encore un - et que ces souvenirs ne soient que pure invention. Mais non ; ce serait trop simple. Cette vie qu'il se retrouve à devoir vivre est-elle vraiment la sienne ? Voilà le genre de question qu'il va à présent lui falloir se poser. Celle qu'Erik a pour lui n'est pas simple non plus.

▬ Je ne sais pas.

Des mots qu'il est rare de trouver dans la bouche du leader des X-Men - celui sur lequel on se repose, celui censé avoir toutes les réponses - mais qui se fait de plus en plus fréquente depuis qu'il se trouve dans cette situation. Inconfortable, il faut bien l'avouer.

▬ Je... Je pense que nous serons d'accord pour dire qu'il y a des erreurs que nous n'aurions pas dû faire. Des choix que nous n'aurions pas fait, si Charles n'était pas mort. dit-il, évitant soigneusement de ramener le sujet de sa responsabilité sur le tapis. Je ne suis pas sûr de pouvoir revenir en arrière après tout ça, mais... Je ne pense pas devoir suivre le même chemin non plus. Pas comme ça.

Pas en tombant en disgrâce, perçu par tous comme un criminel de guerre et un traître à sa cause. Pas en déclarant une guerre ouverte à tout ce qui n'est pas un mutant. S'il a bien appris quelque chose au contact de Magneto, c'est que les extrêmes sont rarement la solution, que ce soit dans un sens ou dans l'autre. Qu'ils ne peuvent pas rester aussi passifs que le Professeur aurait voulu qu'ils le soit, mais que se mettre le monde à dos n'est pas non plus la solution.

Mais ce revirement n'a pas eu lieu sans raison. Il ne peut pas tout mettre sur le compte du deuil et de la colère. Il a voulu cette révolution - si sombre qu'ait été sa tournure ; si mal qu'elle ait fini pour lui. Il ne serait pas mort pour cette cause s'il n'y avait pas cru au fond de lui, n'aurait pas mené ce combatjusqu'au bout s'il n'y avait pas mis toute son âme. Mais précisément parce qu'il lui a coûté la vie, il n'a aucune idée des conséquences qu'il avait pu avoir ; de la façon dont le monde a évolué après qu'il l'ait quitté.
Magneto, lui, sait : c'est bien pour ça qu'il est venu le voir. Il a été témoin.
Failli, a-t-il dit.

▬ Ma mort. Est-ce qu'elle a changé quelque chose ?

C'est donc ça qu'il a laissé derrière lui ?
C'est donc ça, son héritage ?

Cyclope entrouvre la bouche, comme s'il s'apprêtait à parler, sans que les mots lui viennent. Car que dire de cette vision d'horreur que Magneto lui révèle ? L'idée qu'il puisse s'agir d'une manipulation de leur vieil ennemi ne lui vient pas à l'idée ; bien qu'il ne s'agisse que d'un hologramme, que d'une reconstitution de ce qui a été, tout cela est bien trop réel. Et si sa tête demeure pleine de questions, ce dont il se souvient des instants qui ont précédé sa fin confirme cette version des faits. C'est bien ainsi qu'il est mort ; il en a la glaçante conviction.

Après moi, le déluge. songe-t-il, désemparé face à cet amer bilan. Cette pensée l'a-t-elle habité à quelque moment que ce soit ? A-t-il su que les choses allaient changer pour le pire, qu'il n'allait faire que précipiter son peuple dans une nouvelle ère de conflits ? Que les mettre dans un plus grand danger que celui qu'ils connaissaient déjà ? Et, surtout, a-t-il persévéré en en ayant pleinement conscience ? Il ne s'en rappelle plus ; tout ça lui parait distant, comme... Et bien, comme une autre vie. Mais ça n'excuse pas ses actions. Loin de lui l'idée de prétendre qu'il n'était pas maître de ses actes ; aucune excuse ne saurait justifier cela.

Alors qu'une migraine sournoise point comme pour accompagner ces réminiscences, il porte la main à son front, réprimant une grimace. Pendant un bref instant, sa vision se voile de rouge - d'un écarlate plus vif encore que celui des lunettes posées sur son nez.

▬ Je... Me rappelle. finit-il par dire, rétablissant son impassibilité habituelle. Je... Qu'est-ce que j'ai fait ?

Ce n'est pas facile à avaler, mais il ne peut se permettre de fléchir. Cette - mauvaise - surprise n'est sans doute que la première qui l'attend dans la découverte de ce « nouveau » monde : il devra être prêt à les encaisser. À faire comme s'il savait déjà - comme s'il l'avait vécu à la place de cet autre lui dont on se rappellera. Ils ne doivent pas être si différents - du moins l'espère-t-il, ou la tâche n'en sera que plus compliquée.

Scott réalise qu'inconsciemment, il a fait un pas en arrière, et s'interdit d'aller plus loin. Il s'oblige à ne pas détourner les yeux - à regarder en face ce qu'il a lui-même créé. Ce dont il est responsable, que ça lui plaise ou non. À s'imprégner de ces événements tragiques pour mieux en mesurer le poids, en porter la peine, en assumer la faute. Ces péchés sont-ils seulement de ceux qu'on peut expier ? Faire partir tant de sang sur ses mains ne sera pas chose aisée.

Pourtant, alors que la culpabilité l'accable et le ronge, c'est le regard de Magneto sur lui qui lui permet de la garder sous contrôle. D'une part car il lui impose de rester digne, de ne pas flancher devant lui, mais aussi et surtout car il est dénué de jugement - de reproches.

Cela éveille en lui des sentiments partagés, car le maître du magnétisme n'est pas un saint non plus, et a commis son lot d'atrocités en son temps - quoique toujours moins que celles qu'il a lui-même subi. Si loin que Cyclope se soit égaré, il lui reste du chemin à faire et des limites à franchir pour en arriver à son niveau. En aucune façon Magnus n'est-il à même de lui accorder l'absolution.
Néanmoins, s'ils ne s'accordent pas sur tout, à tout le moins s'entendent-ils sur la valeur d'une vie - pourvu qu'elle soit mutante. Aussi, que doit-il penser de cette neutralité au moment de narrer cette chronique sanglante ? Et surtout, est-il bien sain de tant se soucier de son opinion ?

▬ Ça ne peut pas se reproduire. finit-il par déclarer avec fermeté en éloignant les doigts de son visage, serrant le poing tandis qu'il achève de reprendre contenance. Pour le bien de tous, nous ne pouvons pas laisser l'histoire se répéter. Je ne pense pas que tout ce que j'ai fait, tout ce que nous avons fait était une erreur... Mais si c'est comme ça que ça doit se terminer - d'un geste brusque, il désigne l'écran et ses images funestes - ce n'est pas la voie à suivre. Je n'ai pas peur de partir en guerre pour ce en quoi je crois, mais je refuse d'entrainer tous les autres mutants avec moi. Je n'en ai pas le droit.

Plus jamais ça.
Ou qu'il brûle, si ce doit être le cas.