« Scott ?... Scott ! »Ouvrir les yeux.C'est la première chose que fait le commun des mortels en se réveillant, à chaque nouveau jour.
Un réflexe, aussi naturel que de respirer.
Aussi, la plupart des gens ne s'imaginent pas à quel point il est dur de se l'interdire ; de se conditionner à garder les paupières obstinément closes alors qu'on émerge à peine des brumes du rêve.
Encore moins qu'il puisse s'agir, pour certains, d'une question de vie ou de mort.
Car Scott, lui, n'a
pas le droit d'ouvrir les yeux ; pas avant d'avoir pris les mesures suffisantes.
Pas avant d'être sûr qu'il ne va pas détruire le monde.
Aussi est-ce péniblement qu'il émerge, sans encore pouvoir voir ce qui l'entoure. Qu'il s'extirpe des griffes du cauchemar.
Mais en était-ce vraiment un ?
Après tout ce qu'il a vécu, il n'est pas rare pour le leader des X-Men d'avoir un sommeil tourmenté ; d'être torturé par le souvenir de ce qu'il a subi, vu, vécu. Lui plus que n'importe qui.
Mais aussi réel que ça puisse sembler, ça n'avait jamais été aussi... Viscéral.
Peut-être est-ce parce qu'il ne s'est jamais senti mourir.
« Ce n'est rien, » l'informe une voix douce, familière.
Trop familière, en fait.
Une voix qu'il ne devrait pas entendre. Pas alors qu'il est réveillé.
Pas alors qu'elle n'est plus de ce monde depuis des années.
Pas en-dehors de ses incursions dans son subconscient.
Comme...
Comme quand le Phénix l'a pris.
Comme quand Charles est mort sous ses yeux.
Comme quand il a brûlé le monde.« ...Jean ? »Sa voix est mal assurée, même s'il lui évite de trembler.
Il n'ose y croire, mais ne peut pas non plus s'y tromper. Pas alors qu'il ressasse sans cesse sa présence, sa vie à ses côtés - qu'elle fait encore
partie de lui, quoi qu'il puisse arriver.
À tâtons, il retrouve ses lunettes, les enfile dans l'urgence - et la trouve auprès de lui, dans ce lit qu'ils ont autrefois partagé.
Dans leur chambre à l'institut.
Le premier. Celui dont tous ceux qui ont suivi n'ont fait que s'inspirer. Dont il ne reste que des cendres, depuis si longtemps désormais.
Du moins est-ce ainsi qu'il s'en souvient.
Et pourtant, tout paraît intact. Comme dans son souvenir.
Un souvenir lointain, depuis longtemps enfoui sous quantité d'épreuves et de souffrance.
Tout ça appartient au passé, oui - et pourtant c'est là, si près de lui qu'il pourrait le toucher.
N'est-ce qu'un rêve ? Ou est-ce tout ce qu'il a vécu depuis qui l'a été ?
« Tout va bien. Tu as juste fait un mauvais rêve... »Les images défilent.
Le Phénix. Les Cinq. La Révolte. La Brume. L'Inhumain. Le Cri.
La Fin.Tout ça assaille son esprit, et plus encore.
Non, il l'a vécu - il n'est pas possible d'en douter. Le nier serait nier qui il est.
Mais alors, pourquoi est-il ici ? Pourquoi est-il... Encore là ?
« Tu as l'air troublé... Tu veux que je regarde si je peux y faire quelque chose ? »La main de sa compagne - feu sa compagne - se lève et se dirige vers sa tempe ; il sait ce qui va suivre s'il la laisse faire. Il repousse son poignet, d'un geste qu'il s'efforce de ne pas rendre plus rude qu'il est censé n'être.
Une partie de lui désire ce contact, le souhaite plus que tout au monde - mais que pensera-t-elle, si elle voit ce qu'il a dans la tête ?
Ça ne peut pas arriver.
Ça ne doit pas arriver.
Jamais.
« Non, ça va, je... J'ai juste besoin d'un peu d'air. »La brève stupéfaction qui s'est peinte sur le visage de Jean - sur ces traits qu'il connait par cœur - s'estompe au profit d'un sourire chaleureux.
D'une chaleur de feu.Il se redresse alors, en effet, et va ouvrir la fenêtre - comme si ce geste allait tout changer.
Comme si la vue de l'extérieur allait révéler la supercherie, exposer l'envers du décor, prouver que tout ceci n'est qu'une grotesque mise en scène.
Mojo, le Shadow King, peu importe : il veut juste le fin mot de toute cette histoire.
Il veut juste une raison de ne pas y croire.
Il ne l'aura pas.
Car alors qu'il écarte les rideaux, prend appui sur le pourtour, tout ce qu'il voit... Est ce qu'il aurait pu s'attendre à voir alors qu'il se trouvait dans cette même pièce, il y a des années de ça.
L'école n'est pas à son meilleur, elle a connu plus vaste population ; la Sorcière a frappé, sans aucun doute... Mais ça ne les empêche pas d'accueillir quantité de pensionnaires.
Les plus jeunes d'entre eux s'égayent dans les jardins, qui ici se lançant un frisbee, qui là se jouant des tours au moyen de leurs talents particuliers.
C'est un bel après-midi qui s'annonce.
L'un de ceux par lesquels il aurait aimé partir faire une balade en moto, autrefois, si tant est qu'il n'ait pas été trop occupé à combattre Magneto, ou Apocalypse, ou Sinistre - à sauver le monde, en somme.
Possiblement avec les bras de Jean noués autour de sa taille, si elle n'avait pas autre chose à faire - à honorer leur statut de mentors pour la nouvelle génération ; à affiner la maîtrise de ses pouvoirs, encore, pour que jamais plus ils n'échappent à son contrôle.
De longues secondes durant, il demeure ainsi sans bouger, son esprit pragmatique cherchant un sens à ce qu'il est en train de vivre - de revivre ? - sans parvenir à s'en accommoder.
Cyclope a traversé plus d'aventures qu'il n'en saurait compter ; il a visité d'autres mondes, exploré d'autres époques. Mais ça...
C'est différent. C'est autre chose.
Mais quoi ?
« Scott ? Tout va bien ? » l'interpelle la voix de Jean derrière lui, encore tapie sous les draps, alors qu'elle repousse une mèche flamboyante derrière son oreille.
« On dirait que tu as vu un fantôme... » Il ose à peine la regarder en face, refuse encore d'admettre qu'elle puisse juste être... Là.
Pas après tout ce que sa mort lui a fait endurer.
Pas après qu'il ait calciné les plus grands héros de ce monde en son nom.« ...Oui. Oui, ça va. » ment-il. Heureusement, leur lien psychique n'a pas l'air d'être en place, cette fois : il n'a pas à lui livrer ce que cache son esprit.
« C'est juste que je viens de me rappeler que j'avais quelque chose à faire. »« Si tard ? » s'étonne-t-elle. Le regard de Scott - teinté d'écarlate par ses verres particuliers - erre du côté du réveil, qu'il n'a manifestement pas programmé.
« Tu ferais mieux de ne pas traîner, alors. N'oublie pas que Charles a besoin de nous tout à l'heure... »« ...Charles ? »Son cœur se serre.
La médiation. Le meurtre du père. Sa plus grande faute.« Et bien, oui. Tu sais, c'est aujourd'hui que les nouveaux font leur premier passage dans la Salle des Dangers. Tu es sûr que ça va aller ? Ça ne te ressemble pas, d'être aussi tête en l'air... »« Ah. Oui. Bien sûr. Je serai là, ne t'en fais pas. Je... » Sa vision dérive vers son communicateur, qui traîne sur la table de nuit - et indique un nouveau message.
« ...Ne devrais pas en avoir pour longtemps. »Un message qu'il n'aurait pas dû s'attendre à recevoir, au vu des circonstances.
Si tout est
comme avant, alors
il est son ennemi, une fois de plus.
Pourtant... Peut-être est-ce aussi lui, la réponse à tous ses problèmes.
Le temps qu'il passe par la salle de bain, Jean s'est rendormie, lui évitant ainsi l'inconfort d'un nouvel échange maladroit. Avec un peu de chance, lorsqu'il reviendra - s'il revient -, tout sera plus clair.
Jean est en vie. Charles est en vie.
Qui d'autre ? Qu'est-il advenu d'Emma ?
Sa rébellion n'aura-t-elle donc rien donné ?
A-t-elle seulement eu lieu ? A-t-il été ramené dans le droit chemin ? Par qui ? Comment ?
Trop de questions. Trop peu de réponses.
Et c'est en quête de celles-ci qu'il s'élance, qu'il fait rugir son moteur.
Qu'il part voir Magneto.
Et pour qui sait où chercher, il n'a jamais été très difficile à trouver.