Le deuil [Thunderstrike]

Thor est mort.
Thor est tombé.
Thor n'est plus.

Cela fait plusieurs jours, déjà.
Plusieurs jours que la Grosse Pomme a subi un assaut inédit: celui de Loki, possédé par la Nécrolame, artéfact terrible et mystérieux, source des monstrueux symbiotes Klyntars. Ou un truc du genre. C'est que Kevin a cru comprendre, en tous cas. Faut dire qu'il n'a pas particulièrement cherché à se renseigner après coup, non. D'autres choses lui ont occupé l'esprit. Aussi sombres, noires et fatales que la menace déicide. Des regrets. Des remords. Que le marteau Thunderstrike, malgré sa chaleur, n'a su étouffer. Quelques larmes, également. Et un tour au cimetière de New-York, sur la tombe d'Eric Masterson. Son père. Mort, lui aussi.
Sacrifié pour le plus grand bien.
Pour sauver le monde.


- Salut P'pa. Je sais pas comment te le dire, alors ça va être direct: Thor est mort. Ouais, c'est pas la première fois, mais là... ça a l'air vrai. Bizarrement vrai. Trop vrai. C'est Loki qui l'a... voilà quoi. Vous étiez potes, vous vous respectiez, alors ça me semblait important que je te le dise.

Le jeune homme serre les dents pour retenir une larme.
Hésitant quelques secondes, il s'approche finalement du petit monument, et s'installe à côté, son épaule appuyée sur la pierre tombale.

- Chuis paumé. Complètement. Parce que... je l'aimais pas, tu sais. Enfin... c'est surtout que j'avais de la rancœur. De la colère. Il a pas été là pour toi, quand il fallait. Et quelque part, lâcher cette boule dans mon ventre, c'était un peu te lâcher. Je voulais pas. Mais le voir disparaître, là, comme ça... j'ai l'impression d'avoir merdé quelque part, tu vois ? Parce que ça vient de moi le souci, hein. Lui, il aurait bien voulu qu'on cause davantage. En grattant un peu, c'est sûr qu'il aurait fait de moi un Thorboy, ou un Kid Thor... mais on est têtu dans la famille. M'enfin, je vais me rattraper.

La larme coule.

- Aaaah, je voulais pas pleurer...

Bzzzzzt

Kevin sent une vibration dans sa poche. Une distraction parfaite pour chasser ce qui le préoccupe. Portable dégainé. SMS ouvert. Dane Whitman. Ah.
Qui lui propose de venir.
Dans un bar.

Comme quoi, ça parle d'âge légal que quand tout va bien.
Ah la la...

D'abord réticent, le jeune homme pose son portable par terre.
Le reprend. Pianote. Efface.
Le repose.
Le rereprend.
Repianote. Ré-efface.
Pour finir enfin par envoyer un message, court, un peu nul, mais dur de faire mieux quand on se sent à ce point pas à la hauteur.

Et quand les coordonnées du lieu sont reçues, il ferme les yeux quelques secondes, appuie le côté de sa tête contre la pierre dure et froide, et murmure:

- Je t'aime papa. Tu me manques. A bientôt.

________________________________________________

- Pffff...

Un soupir.
Voilà ce qui annonce l'arrivée de Kevin Masterson, alors qu'il passe la porte du Diner.
Pffff. Engageante comme première parole. Si tant est qu'on puisse considérer ça comme une parole. Et pas un borborygme. Ou un grognement néanderthalien.

Le grand blond n'a pas pris le temps de se changer, ou de faire disparaître le marteau quand il se présente devant Dane Whitman, son nouvel ami. Un frère d'armes, désormais. Un proche, peut-être un jour ? Aujourd'hui, un casse-couilles à n'en pas douter. Qui veut bien faire. Mais un casse-couilles.


- J'aime pas qu'on me force la main, Dane. Pas du tout. Surtout pour quelque chose d'aussi perso.

Les yeux bleus de Kevin s'assombrissent un peu, sévères, mécontents, alors qu'il croise les bras sur sa poitrine massive. Sa peau se tend, dévoilant un réseau musculaire à en faire baver d'envie un bon paquet de monde. Mais si les muscles suffisaient à sauver le monde, ça se saurait, non ?
Mais un léger sourire, un peu pâle, vient accompagner ce qui suit:

- Surtout que je comptais déjà y aller.

Kevin se tourne ensuite vers Brunhilde, la Valkyrie légendaire, avec laquelle il a déjà vécu quelques aventures spatiales pas piquées des hannetons, en compagnie d'autres grands noms. Arrêter l'armada de Naglfar et ses hordes d'Asgardiens décédés, ce n'était pas une mince affaire.

- B'jour Val. Content de te voir, même si... enfin voilà. Et Grunny... Grünhilda, elle va bien ?

Impossible de retrouver la rousse et puissante valkyrie depuis le trépas du Dieu du Tonnerre. Comme si elle s'était évaporée. Mais si il est question des funérailles d'un Prince d'Asgard, le mystère est d'ores et déjà élucidé.

- Oui. Mais cette situation n'est aisée pour personne.

Kevin hoche la tête.
Partagé semble être son chagrin.
Puis, son attention se reporte sur Dane.

- Asgard n'a jamais connu mon Thunderstrike. Quoi de mieux que les jeux funèbres de Thor pour remédier à ça, hein ?

Si le jeune homme ne se trompe pas, et qu'il a bien suivi les leçons de Grunny, ce genre de tragique événement est généralement suivi de plusieurs jours de beuveries, de batailles, de fêtes en l'honneur du défunt, afin que sa mémoire survive à travers les vivants.

Kevin se tait.
Kevin écoute.
C'est rare. Mais la situation est difficile.
Elle exige une concentration toute particulière.
Mais ce que le jeune homme entend le fait réagir.
Chassez le naturel, il revient au galop comme on dit.
Et quand il est question de dieux qui montent des chevaux à huit pattes, ça peut aller très vite.

- Gna gna gna... faire le fier... et pis quoi encore ?

Non mais, ils le prennent pour qui là ? Un paon qui se pavane ? Ok, rouler des mécaniques, c'est un peu se pavaner... mais juste un peu, à la fine limite entre poser ses muscles sur la table et... non, pas faire le fier. Jamais. S'EXPRIMER ! Voilà, c'est ça ! Il s'exprime, et du coup ça n'a plus rien à voir.
De la mauvaise foi ? Où ça ?

- Et je râle jamais, d'abord.

JAMAIS.
AU GRAND JAMAIS.
Mais la bouderie enfantine ne dure pas.
Elle n'a pas vocation à être autre chose que comique, amusante, décalée, un moyen de créer une armure tout en détournant l'attention. Un procédé instinctif, vieux comme le monde.
Car Kevin est surtout rassuré, et satisfait de ne pas être seul à ce moment là.
Au point de poser lui aussi sa grosse main sur l'épaule de Dane, avec un sourire.

- Merci.

Puis, il suit l'étrange petit duo en armure dans la sombre ruelle new-yorkaise. Les deux guerriers semblent tout droit sortis d'époques lointaines, quand un homme -ou une femme, évidemment- pouvait encore changer le monde l'arme au poing, avec sa seule volonté.

Ce n'est pas la première fois que le jeune colosse voit un Bifröst. A chaque fois, le même émerveillement le gagne, et fait briller des étoiles dans ses yeux. C'est beau, c'est grand, c'est épique, et c'est annonciateur de moult aventures. Mais cette fois, une certaine mélancolie teinte son regard azur.
Une mélancolie qui vient même entacher la vision qui se dévoile à lui.

Asgard la merveilleuse.
La légendaire. L'unique.
Peuplée de divinités extraordinaires à la longévité frisant l'immortalité, de créatures mythiques défiant l'imagination, d'armes magiques aux propriétés uniques, source de pouvoir et de conflit, à la fois protectrice des mondes et cible privilégiée d'attaques.

Enfin.
Kevin y pose le pied.
Après toutes ces années à en entendre parler.
Et il n'est pas déçu. Pas du tout.

- Ouaip ouaip ouaip. C'est ma première à moi.

Mais le regard complice est rendu.
Car il voit très bien ce que Dane veut dire.
En espérant ressentir lui aussi la même chose, à l'avenir !

Une voix s'élève, grande et digne.
Celle d'une guerrière à nulle autre pareille, à la longue chevelure noire.
A l'armure rouge et blanche.
Au visage parfait.
Et à l'épée... ouh, à l'épée bigrement prodigieuse !
Kevin ne peut pas ne pas le reconnaître. Avec beaucoup de respect, il s'avance et s'incline devant la grâce totale de celle qui lui fait face.

- Dame Sif. C'est un honneur. Les légendes ne parviennent pas à rendre justice à votre présence, à votre beauté eeeeet... à la lame que vous maniez.

Faut dire que l'épée est sacrément sexy.
Du genre à attirer plus le regard que la guerrière millénaire en armure moulante qui la manie. Presque. Parce que quand même, c'est Dame Sif !

- Ah ! LES VOILA !


A peine notre colosse blond a-t-il le temps de se retourner qu'il se retrouve enfoui sous une masse encore plus énorme que la sienne, de tissu, de bras et... de ventre. Il ne percute pas immédiatement, alors qu'il se retrouve soulevé de terre par le puissant et ventripotent Volstagg le Volumineux, Volstagg le Gourmet Gargantuesque, Volstagg le Valeureux, dont le dos est orné de sa fameuse Brandrheid Undrsigr.

- Uh.

Impossible de réagir autrement.
Kevin se laisse faire, et attend de retrouver ses esprits.

Une silhouette plus fine contourne l'étreinte d'ours, silhouette dont l'élégance rivalise sans peine avec la force de son ami à la grande barbe rousse. Vêtu de vert, fine moustache parfaitement taillée et Fimbuldraugr à la taille, Fandral l'Agile, la Flèche, effectue un léger mais beau salut, un de ceux capables de faire s'évanouir de bonheur n'importe quelle dame de Midgard.

- Salutations ! Sieur Whitman, jeune Masterson, Brunhilde, c'est un plaisir de vous voir.

Et en retrait, un dernier guerrier de légende les salue, au calme total, à la tenue simple mais impeccable. Hogun le Farouche, le Sinistre, s'incline très légèrement, dans un silence respectueux, Hridgandr à sa ceinture, et laisse les autres parler.

Kevin, enfin, reprend ses esprits, et se dégage des bras de Volstagg en riant.

- Le Trio Palatin ! C'est aussi un honneur de faire votre connaissance !

Il s'incline à son tour, avec beaucoup d'enthousiasme, avant de se retourner vers Dane pour partager avec lui sa... sa joie, oui, tout simplement. Le moment est bon, agréable, réjouissant. C'est une rencontre merveilleuse pour le jeune homme, et ce peu importe les circonstances.

Au ricanement fort peu subtil de Dane Whitman se joint bien vite le grand sourire gourmand de Kevin, qui s'amuse beaucoup trop de ce genre de sous-entendus typiquement midgardiens. Même s'il ne peut empêcher son regard d'être attiré par la grande Hofund, lame actuelle de Sif et plus généralement celle du Passeur d'Asgard.
Pas gêné pour un sou de la situation, le jeune homme pose fièrement ses poings sur ses hanches, et renchérit sans coup férir:

- Trop tard. Je crois que j'ai explosé, Dane.

Puis, il explose vraiment.
De rire.
Un rire fort, mais un rire franc.
Ca ne fait pas de mal, compte tenu de la situation.
En espérant que ça ne soit pas mal perçu par leurs hôtes...
Bah, au diable les apparences, au diable le protocole, Grünhilda lui a raconté à mots plus ou moins couverts la démesure totales des fêtes asgardiennes; alors si on lui tient rigueur pour un simple petit éclat de voix, c'en serait bien décevant.

D'autant plus que, pas au bout de ses surprises, Kevin hausse un sourcil surpris en captant le bref échange entre le fameux Fandral et Dane. A-t-il bien entendu ce qu'il a entendu ? Que voilà belle matière à détournement, une fois sorti de son contexte !
Se voulant un peu plus discret, le départ vers le tombeau de Thor ayant été annoncé, le grand blond plus si grand au milieu des géants d'Asgard se positionne au niveau du Chevalier Noir, et y reste pour lui confier tout bas:

- Je rêve ou c'est du rentre-dedans, ça ? Ta "souplesse" ?! Huhu.

Mais il n'insiste pas plus après; Volstagg a quelque chose à dire.
Le Volumineux est un proche du pouvoir, et ce depuis toujours. Ami de Thor, mais également conseiller et cuisinier, les langues se délient face à sa charmante bonhommie. Confiance et fiabilité, cela le caractérise bien, au point qu'un temps, on lui a confié les rênes du Royaume.
Le Roi Volstagg.
Sacré CV.
Alors, curieux et poli, autant que possible, Kevin se tait et tend l'oreille.
Car les nouvelles ne sont pas rassurantes. Elles n'en ont pas l'air, en tous cas.

- Vous ne verrez pas le Père-de-Toute-Chose durant votre séjour. Il s'en est allé se reposer. Le trépas de notre... protecteur a déclenché son Sommeil, le Sommeil d'Odin, plus tôt que prévu. Bien plus tôt que prévu.

Ca aussi, Kevin en a entendu parler.
Le Sommeil d'Odin. La semaine que doit prendre le tout-puissant souverain des Neuf Royaumes chaque année, pour restaurer l'intégralité de ses immenses forces. Oui oui, l'équivalent de brancher son portable tous les soirs afin qu'il soit chargé à bloc le lendemain. Mais en plus épique. Et en plus cool. Et en plus problématique si c'est pas fait.

Après de longues minutes de marches, l'atmosphère change brutalement.
La chaleur accueillante d'Asgard laisse place à l'humidité, au silence, à l'odeur de l'ozone et à une fine bruine presque invisible à l'œil nu, mais terriblement glaçante. Tout comme l'ambiance d'ailleurs, sinistre à souhait.

Les pavés de la civilisation laissent place à la rudesse d'un chemin plus brut, qui débouche au sommet d'une espèce de cuvette naturelle. De là haut, une vision saisissante s'offre aux pèlerins, venus se recueillir sur la tombe d'un Dieu.


Vision que ne peut s'empêcher de commenter le rapide et agile Fandral, perché héroïquement sur une pierre surplombant la route de pierre.

- Contemplez mes amis... la dernière demeure du puissant Thor, Dieu du Tonnerre et Prince d'Asgard.

L'éloquence étant sa première qualité, Kevin réagit donc à ça:

- Oh, fiouuu.

Bravo Kevin.
Merci Kevin.
Toujours là pour faire honneur à la grandeur des travaux asgardiens. Ce temple funèbre dédié au plus grand héros nordique s'est bâti en un jour et une nuit, fruit du travail des plus grands architectes divins des Neuf Royaumes, spécifiquement mandatés pour.

Le ton sombre de Volstagg fait se retourner le jeune homme, quand le divin gourmet vient ajouter son grain de sel. La colère bout en lui, comme de l'eau chaude dans une grande casserole. Les poils roux sous ses narines dansent au rythme de sa profonde respiration.

- Mais sur ordre de notre bien-aimé régent Baldur Odinson, nul n'a le droit d'y pénétrer. Pire, il a été piégé pour ne permettre qu'à un être aussi puissant que Thor d'en ressortir. Histoire d'éviter les "intrus mal intentionnés". Quel petit ingrat jaloux, voilà tout. Vivement que le Père-de-Tout se réveille, je vous le dis.

Toujours là pour calmer les ardeurs, et permettre au calme de l'emporter, Hogun fait deux remarquables pas et pose sa main sur le bras de son gigantesque ami, son compagnon d'hier, d'aujourd'hui et de demain.

- Volstagg.

- Je suis le Lion d'Asgard ! Personne ne me fera taire !

- Volstagg.

Mais tout Lion d'Asgard qu'il est, rien ni personne ne peut lutter contre le regard paisible mais inflexible du guerrier à la masse. Discret, silencieux, implacable. Kevin reste coi, étant bien plus habitué aux excès émotionnels volcaniques qu'à cette mer placide.

- ... bon, bon.

Volstagg ronchonne encore des paroles incompréhensibles dans sa barbe, avant de se taire.
Le silence retombe, le Mausolée de Thor domine, tout comme le désespérant vague à l'âme qui gagne petit à petit l'esprit de Kevin.

Le Trio Palatin est enjoué, devant le mausolée divin.
Peut-être un peu trop.
Peut-être volontairement trop.
Comme si parler fort, s'agiter, bouger, vivre allait donner envie à leur vieil ami de se réveiller et de sortir de ce tombeau monumental. Peut-être est-ce également un moyen d'exorciser leur peine, en agissant comme si Thor n'était jamais parti ?
Impossible à dire, mais pas à constater.
Seul Hogun, comme à son habitude, reste en retrait.

D'abord emporté par le mouvement, à son plus grand plaisir, Kevin sort petit à petit du manège des dieux jusqu'à se retrouver seul, en dehors. Seul. Seul face à l'immense structure de pierre. Seul face à ses propres démons, à ses hontes, à ses remords. Face à ses échecs. Son impuissance. Sa rage. Ses peurs. Tout ressort, au point de se matérialiser en une unique et grosse larme, le long de sa joue.

Mais quand Dane s'agenouille, tel un héros un armure, tel un pénitent, le jeune homme se rend compte qu'il a cessé de respirer pendant de trop longues secondes. Et que l'acte simple mais beau du Chevalier Noir l'inspire. Suffisamment pour s'approcher à son tour, et déposer marteau au sol.

- C'est déjà une arme d'ici. Il me lie à Asgard, comme mon père avant moi. Même si j'aime pas forcément ça.

Kevin aime faire ses propres choix.
Et ne supporte pas de subir le poids d'un passé non-désiré sur ses épaules.

- Du coup, c'est p't-être déjà marqué magie sur uru dans le contrat, sans que je sache, mais... moi aussi je mets mon bras à disposition d'Asgard. Moi aussi je suis prêt à aider, le temps que revienne votre divin Thor. Encore.

Une petite boutade.
Etonnante, vu la situation.
Mais pas malvenue, loin de là.
Pour détendre l'atmosphère, et glisser une touche d'espoir.
Thor est mort, oui. Mais il est déjà revenu. Au moins une petite dizaine de fois.
Il reviendra.
C'est une certitude.
En attendant, il va bien falloir quelqu'un pour veiller au grain. Dane Whitman s'est proposé. S'est offert. Il ne sera pas seul.

- Vous avez plus Mjölnir: vous aurez Thunderstrike.

Le Trio Palatin, sorti de sa joyeuse spirale, se tait.
Et observe les deux hommes qui leur font face. Deux humains, bien loin des immortels qui peuplent la grande contrée d'Asgard. Deux humains, vus comme simples, faibles par beaucoup. Deux humains, qui portent plus et mieux leurs paires respectives que bon nombre de "héros".
Avec un pouffement un peu nerveux, Fandral s'avance.
Et s'incline, en signe de respect.
Geste que reprennent Volstagg et Hogun.

- Que voilà de bien belles paroles. Tout flattés que nous sommes, Volstagg, Hogun et moi-même ne formons que le Trio Palatin. Et Thor... Bref. Ces offrandes auraient bien plus de poids présentées à Odin... ou à Balder.

Toujours énervé, le colosse au ventre rebondi inspire profondément, pour mieux exprimer son dédain.

- Pffffff...

Puis, avec un petit sourire, Kevin se tourne vers son nouvel ami, un proche avec qui il n'aurait jamais cru partager ça deux mois plus tôt. Posant sa grosse main sur l'épaule du Chevalier, il lui marmonne:

- Hé. Soit personne est fautif, soit tout le monde l'est. C'est ce que j'essaie de me dire.

Pas une franche réussite.
Mais peut-être qu'avec le temps, ça rentrera ?

VWOOM

Thunderstrike vibre, ce qui attire l'oeil de son porteur.
Souvent, le marteau semble essayer de communiquer ainsi, de transmettre quelque chose. Mais même s'il est béni du don de l'Omnilangue, le jeune homme ne parvient toujours pas à comprendre ce qu'il veut dire. Haussant les épaules, il laisse tomber, encore une fois.

Car d'autres obligations les appellent, comme le souligne sobrement Dame Sif, qui n'a mine de rien pas fini de taper dans l'oeil de Kevin. La veillée funèbre. Le moment où l'on dit adieu à celui qu'on a côtoyé. Ou qu'on a estimé, à défaut. Même aussi peu que le fils Masterson. Qui soupire, et hoche la tête.

- Ok. Allons-y.
___________________________________________________

Un fjord.
Plus grand et majestueux que tous ceux découverts sur Midgard.
Un coucher de soleil.
Rougeoyant, plein de nuances que d'aucuns décriraient comme impossible, et pourtant...
Une foule.
Aux proportions inimaginables. Amassée jusqu'au sommet des montagnes. Des gens de tous horizons, de toutes les planètes, de tous les peuples venus pleurer la mort d'un seul homme. Non, pas un homme. Un Dieu. Peut-être bien le plus grand de tous.


Sif y conduit le petit groupe, tout proche d'un immense navire déjà appareillé, prêt à naviguer sur les flots. Aucun marin n'y a pris place. Aucune rame n'apparaît à ses flancs, prête à fendre l'eau jusqu'à l'horizon.


Sur la berge, posé à même un petit autel de pierre tout simple, repose un marteau.
Mais pas n'importe quel marteau.
Le marteau. L'unique Mjölnir. L'arme de Thor, une part importante de sa légende.


Sur une estrade grandiose surplombant le navire ont été placés des trônes. Et sur ces trônes siège la famille royake, seigneurs de ces terres et proches du défunt. Frigga, Balder, Tyr, Hermod... Tous richement vêtus, mais avec une sobriété propre à l'occasion, ils attendent que la foule ait fini de converger.
Un absent se fait remarquer, et de fait: le Père-de-Tout n'est pas là.
Et cela semble faire jaser.
Mais pas longtemps.
Car enfin, Balder Odinson se lève.
Y a pas dire, il en jette avec son casque ouvragé et une cape de fourrure que nul autre homme ne pourrait porter sans avoir l'air au mieux mal fagoté, au pire ridicule à souhait. Faut dire que sa carrure joue beaucoup, et s'il n'est pas aussi massif que Thor l'a été, il a de quoi faire des envieux.

Un calme total se fait alors qu'il s'avance à la vue de tous.

Et il prend la parole.

- Dieux et déesses d'Asgard ! Famille aimante, amis proches, étrangers respectueux ! Merci à tous d'être parmi nous. Car du Valhalla... Thor nous contemple, et sourit. Son âme est en joie de contempler pareille foule venue lui présenter ses hommages.

Sa voix porte loin, suffisamment pour que tous puissent l'entendre.
Un exploit.
Il est à parier que même le soleil couchant l'entend.

- Gardez en votre cœur un souvenir impérissable du héros qu'il était, tant pour son peuple que pour le cosmos tout entier. Chérissez le, entretenez le, et vivez. Vivez car il est mort pour cela. Vivez pour lui, et ne baissez jamais les bras, même face à une mort certaine. Car elle viendra, comme elle est venue pour Thor. Faites tout pour être fiers de vous, à la fin, et ne lâchez rien. Jamais. Comme... lui.

Le discours est beau. Il sied merveilleusement au moment. Balder est un orateur d'excellence.
Mais quelque chose fait tiquer Kevin. Dans les intonations de Balder. Dans sa manière de se tenir. Dans les tics de son visage. Des choses que les plus éloignés et les plus attristés ne sauraient remarquer. Mais l'œil quasi-divin du jeune homme ne se trompe pas.

- Merci. Encore une fois. Votre présence illumine ce triste événement. Et veuillez excuser le Père-de-Toute-Chose. Son sommeil restaure ses forces. Avec la mort de mon frère, elles seront nécessaires pour lutter contre les nuages qui s'amoncellent au loin.

Balder baisse enfin la tête, l'air grave, accentuant ses derniers mots... et la relève, avec un sourire réconfortant aux lèvres.
Un vrai de vrai.

- Mais en attendant, buvez, ripaillez, poussez la chansonnette; chassons ces sombres moments ensemble. Vous êtes en sécurité ici. Vous avez la parole d'un fils d'Odin. Ma parole.

CLAP CLAP

Il frappe dans ses mains, deux fois.
Le navire est libérée, et part vers l'horizon, seul.
L'émotion est palpable. De nouvelles larmes, que l'on croyait taries, sont versées.
Des sanglots secouent épaules et têtes. Des embrassades de réconfort se partagent.
Thor est mort.
Et ce bâtiment voguant librement acte définitivement ce fait.


Un archer à la tête d'un petit peloton décoche une première flèche enflammée.
Suivie de beaucoup d'autres.
Au loin, la navire s'enflamme, petit à petit, lentement, et illumine l'onde gracile.

- Repose en paix, mon frère. Nous nous reverrons un jour.


Kevin ouvre de grands yeux.
Et soupire, le cœur étreint d'une écœurante mélancolie.
Un éclat de Mjölnir attire son attention, mais il ne s'en occupe pas longtemps: il a dû rêver. Ou alors les deux marteaux discutent depuis quelques minutes déjà, et alors là... que peut-il bien y faire, à part apprendre à parler le marteau...
Les yeux humides, il se tourne doucement vers Dane, et lui glisse:

- C'est sacrément beau.

Mais il ne peut résister bien longtemps, et à voix bien plus basse, il ajoute en désignant du menton le régent d'Asgard:

- On est d'accord, y a quelques trucs qui sonnaient bizarre, non ?

Kevin se tait, et écoute Dane.
Pour apprendre, pour comprendre.
Venu du grand blond en justaucorps noir, voilà une réelle marque de respect et d'intérêt.
Après, c'est normal: les affaires asgardiennes s'étalent sur des années dans le meilleur des cas, habituellement sur des millénaires. Dur dur pour un nouvel arrivant de se retrouver convenablement dans ce grand bain de sang, d'hydromel et de jus de pommes (il paraît que celui fait par Idunn vaut son pesant de cacahuètes). Sans son admirable et belliqueuse enseignante Grünnhilda, il y aurait fort à parier que le jeune homme se soit retrouvé comme deux ronds de flan, le regard constamment attiré par un nouveau détail dans le riche environnement d'Asgard.

A la fin, Kevin grimace un coup, en grommelant:

- Ouais. Compliqué. Les histoires asgardiennes ont toutes l'air de l'être.

Mais son ronchonnement s'estompe quand il capte presque au même moment que son nouvel ami le subtil sifflement qui fend l'air. Un son léger, presque imperceptible, qui indique l'arrivée pourtant très saisissante d'une nouvelle figure majeure.

- C'est... le...

Le Surfeur d'Argent.
Que Thor a toujours énormément estimé.
Qu'il a même considéré comme son ami.
Que cet être cosmique prenne le temps de venir rendre hommage témoigne de la force de leur lien, envers et malgré tout. Cela dit, Kevin mettrait sa main à couper qu'au moins la moitié des personnes présentes dans cette énormissime foule entretient ou a entretenu des relations intenses avec le Dieu du Tonnerre, et ce de tous types: ce gars avait le chic pour se créer des liens durables.

Même si dans le cas présent, le Surfeur se révèle davantage corbeau que colombe: mauvaise augure, coassement désagréables, tout ça... mais gaffe gaffe, Kevin ! Il ne faudrait pas qu'Hugin et Munin n'entendent tes pensées; ils pourraient venir te picorer le nez en guise de représailles.
D'ailleurs, les voilà qui passent hardiment au-dessus de la foule pour venir se poser de part et d'autre du trône occupé par Balder, qui se lève d'un bond en réaction aux avertissements du Héraut de Galactus.

Mais avant que quiconque ne puisse réellement dépasser la simple réaction instinctive, quelqu'un d'autre prend la parole. Une voix sifflante, rauque et profonde comme une grotte de montagne s'élève. Gourmande, elle semble se ravir de la situation.
Kevin ne l'a jamais entendue.
Kevin n'a jamais réellement vu le visage de celui à qui elle appartient.
Mais il le reconnaît immédiatement.

- TOI.

Seth.
Dieu Serpent de la Mort, venu des chaudes contrées d'Egypte.
Frère d'Osiris.
Et la raison pour laquelle Eric Masterson, le père de Kevin, a brandi la Bloodaxe, menant à sa mort.
Pour vaincre Seth.
Qui se pavane, là.
Devant les Asgardiens.
Devant Thunderstrike.
Les sujets du Père-de-Tout ont peur. Sont inquiets. Ils hésitent.
Pas Kevin.

Son bond est immédiat.
Son bras est armé.
La foule s'écarte, à moitié effrayée et à moitié satisfaite du tournant que prend l'instant.
La frappe du marteau s'apprête à déchirer en deux l'Héliopolitain.
Sans autre forme de procès.

- JE VAIS TE...

Mais si le jeune homme est rompu au combat, il l'est moins que les quatre gardes qui se jettent sur lui pour le plaquer au sol. Un geste de Balder aura suffi. Le Régent s'impose, complètement. Il est clairement maître en ses terres.

- Salutations, Masterson.

Un sourire maléfique vient encore avilir le visage de l'Egyptien.
Ce qui enrage Kevin.
Les soldats peinent à le maintenir, mais tiennent, fort heureusement.
Ils ne peuvent cependant pas maîtriser Thunderstrike, qui vrombit de rage, au moins autant que son porteur.

VWOOOOOOM

- LÂCHEZ MOI ! JE M'EN VAIS LUI FOURRER MON PIED DANS S...

- IL SUFFIT.

La voix de Balder tonne.
Gungnir frappe le sol; le Régent l'a matérialisée dans sa main, preuve de son autorité en l'absence d'Odin.

- Cette veillée est placée sous le signe de la paix. Et cela nous concerne tous.

Son regard glacial parcourt l'assemblée, et s'arrête tout particulièrement sur les deux Midgardiens, dont l'un se débat encore sous la pression des gardes, quoique plus faiblement qu'il y a quelques instants.
Hugin et Munin viennent se percher sur les épaules du Régent, l'air prêts à écouter.
L'air prêt à répandre une parole royale.

- Voici mes mots: que chacun de nos hommes les entendent. Evacuez les civils d'Asgard. Protégez la population. Que nos troupes se tiennent prêtes: glorieuse devra être notre prochaine bataille, car le Dévoreur de Mondes arrive.

Dans un battement d'ailes et de plumes, les deux messagers s'envolent alors et disparaissent en un instant, comme avalés par les ombres du crépuscule d'Asgard. Impassible, quoique courroucé par la situation, la réaction de Thunderstrike et la présence du dieu égyptien, c'est vers ce dernier que Balder se tourne une fois les corbeaux partis.

- Seth des Héliopolitains. Parle bref, ou tais toi. Notre temps est précieux

Nez par terre, plaqué au sol, Kevin rue, se débat, comme une bête furieuse prise au piège.
Il n'aurait pas arrêté, si une voix ne s'était pas élevée. Celle de Dane Whitman.
Lui intimant de se calmer, de repousser les explosions de force et de colère à plus tard.
A un moment bien plus opportun. Quand elles seront utiles. Car là, rien ne se fera. Seth s'en sortira. Et le Dieu du Mal le sait, raison de sa présence: déverser son fiel en toute sécurité.
Alors, sous le regard puissant du Régent Odinson et de la famille royale, Kevin lâche prise. Il plie. Il n'aime pas ça, du tout. Il en gardera rancoeur et rancune. Mais aucun autre choix ne se présente à lui, dans ces conditions.

Il a, cependant, quelque chose à dire avant d'être totalement libéré de l'étreinte des nombreux gardes.
Quelque chose né de sa frustration, né de sa rage, qu'il regrettera peut-être.

- Ce ne sont pas mes amis.

- Je n'en ai qu'un.

En réaction, la masse se met à luire, doucement.
Avec chaleur.
Et un petit bruit, doux.

Vwoo Vwoo Vwoo

Le jeune homme a conscience de l'injustice de ses mots.
Dane Whitman s'est révélé ces dernières semaines une personne en qui il peut avoir confiance, une figure bonne, soucieuse de lui, de son bien-être. De son futur. Un ami, oui. En devenir, en tous cas, car ces choses prennent du temps à se faire.
Mais la colère a pris le dessus.
Peut-être pourra-t-il s'excuser plus tard, s'ils en ont le temps ?

Enfin, les loyaux hommes d'armes s'écartent, laissant Kevin se relever. Ce qu'il fait, encore crispé par la frustration. Il s'époussette alors, sans même poser un regard sur ce qui l'entoure. Pas de contact visuel le temps de calmer ce qui bouillonne encore à l'intérieur.
L'explosion du Divin Ventripotent l'aide à remettre les pieds sur terre; il n'est pas si seul, au final. Et cela le rassure. Un peu. Suffisamment pour lancer au colosse à barbe rousse, les bras croisés:

- Hé, Volstagg. On se le fera en temps et en heure. T'as entendu le Chevalier.

Kevin lâche malgré tout un petit sourire, un peu sombre, à Dane.
La portée de ses mots précédents l'atteint enfin, et il espère ne rien avoir cassé, sans grande conviction: il ne sait faire que ça, briser des choses.
Mais plus important se trame là.
La survie d'un royaume divin.
Avec une grosse bagarre cosmique.
C'est pas rien, ça !

- Hé, le Californien d'Argent. C'est sympa de nous avoir prévenu. Maintenant, si tu veux bien retourner dire à ton maître qu'Asgard est propriété privée, ça nous arrangerait. C'est la veillée funéraire de Thor: on se sentirait mal de casser les cornes de Galactus sans lui.

Pris d'un doute, Kevin se tourne vers Dane, encore.

- Ce sont bien des cornes sur son casque ?

Humour, bravade, colère.
Tout ça pour enterrer le plus profondément possible dans ses abysses personnelles ce qu'il veut cacher au monde. Ce dont il a honte. Ce dont il a peur. Ce qu'il désire réellement, plus que tout.

Après quelques secondes, Balder s'avance à son tour, et prend la parole.
Durement.

- Jeune Masterson, ne parle pas au nom de ce royaume qui n'est pas le tien.

Touché.
Mais le Régent continue.
En ignorant ostensiblement l'Héliopolitain qui semble se gargariser de plaisir devant la mort prochaine de ses ennemis.

- Cela dit, ces mots ne sont pas dénués de sens. Norrin Radd. Entends ma réponse: laisse le destin d'Asgard entre les mains de ses fils. Laisse ses fils défendre le Père de Toute-Chose. Être dignes.

C'est grandiloquent, un peu trop même pour un Midgardien de New-York, mais Kevin acquiesce en serrant plus fort le manche de sa masse.
Un voile de tension recouvre la scène.
Thunderstrike vibre d'excitation.

VWOOOOM

- T'as entendu ? Soit tu pars, soit tu te bats, le Chromé. Dans tous les cas ce sera une "glorieuse bataille".

Kevin a envie de massacrer Seth.
De le désosser, de mettre ses restes dans une boîte, de mettre la boîte dans une autre boîte, et d'envoyer le tout à Osiris par delà la Douat, en guise de salutations distinguées venues du grand Nord. Car c'est totalement la haine des tripes qui parle. Qui brûle, fort. La chaleur mordante de la colère qui vient faire bouillir le cœur, et qui donne envie de commettre les plus grandes imprudences. Mais par chance, le jeune homme n'est pas seul: autour de lui, les Asgardiens se tiennent prêts à l'en empêcher. Et Dane est là. Un Dane à qui il a bien mal parlé, à qui il n'a pas rendu hommage comme il aurait fallu. Surtout en étant responsable de la destruction d'une de ses épées légendaires. Un Dane qui, malgré tout, tente de le calmer; qui y participe grandement.
Inspirant profondément, Masterson desserre les poings, inspire profondément, et lance un regard vers l'étrange assemblée à laquelle il fait partie: un héraut de Galactus sur son surf cosmique, des dieux nordiques, un chevalier noir à l'héritage maudit, et un dieu égyptien réunis pour la veillée funèbre d'un héros de l'univers. Quelque part, voir la situation sous cet angle permet au jeune homme d'avoir le déclic nécessaire pour:

- Ok. Ok ! C'est bon. J'ai compris. Paix les gars, paix.

Il s'écarte doucement. Il calme le jeu qu'il a lui-même envenimé.
Pendant que Galactus arrive, pense-t-il. Un temps précieux perdu en énervements et palabres inutiles. Oh qu'il se déteste, parfois !
Là, faut écourter les débats, écourter les discussions.
Dans un style typiquement Kévinien.

- J'ai entendu la sagesse... je l'ai sentie aussi. Outch. Hé hé.

Il se frotte l'épaule gauche avec un sourire dépité, endolorie après l'intervention musclée des gardes de la famille royale. De véritables taureaux nourris aux pommes d'Idunn ! Tout résistant qu'il est, impossible de ne pas sentir passer la force de ces hommes et femmes dévoués à la famille d'Odin.

- Pardon. Bref.

Inspirant à nouveau, car c'est difficile pour lui de se soumettre, Kevin s'avance prudemment vers l'estrade, et Balder. Yeux fermés pour se donner du courage, il fait ce qu'il n'aurait jamais cru oser faire: se mettre genou à terre. Et occulter toute présence du monstrueux Seth derrière, qui ne peut que profiter d'une telle situation.
Cela se paiera un jour.
Et s'il n'est pas Asgardien, Kevin a la mémoire longue.

- Alors pour mes pensées malavisées et mes actes déplacés, voilà, je présente toutes mes excuses à la famille royale. Désormais, elles sont vôtres. Je vous prie d'en disposer comme vous le souhaitez.

Il a la mémoire longue, et surtout, surtouuut, une idée en tête.
Une idée glaciale, qui vient suffisamment refroidir ses tripes pour enchaîner:

- Ce... hrm... Seth m'affecte... beaucoup trop. Pour rester poli. Donc si vous me l'accordez, je vais prendre congé pour participer à la défense contre Galactus. Pour Asgard. Pour Odin. Pour... Thor.

Qu'il est dur de prononcer son nom...
Tête baissée, respectueusement en attente d'une réponse, le fougueux jeune homme ne perçoit pas le traître bruissement de robe qui annonce le lever de voix qui suit:

- Si ta fureur a su être muselée, va, Fils du Maître. Va.

Freyja la grande, Freyja la Mère-de-Tout, Freyja la mère, tout simplement.
Qui perçoit beaucoup plus que les autres, qui lit dans le cœur de Kevin. De ce petit mortel qui ressemble tant à ce qu'elle a perdu.
Freyja qui voit en lui des choses qu'elle connaît déjà pour les avoir vu chez autrui, des choses qu'elle ne veut pas encourager. Mais qu'elle ne peut guère étouffer d'un claquement de doigts, toute puissante soit elle.

Balder, exaspéré, secoue la main et congédie l'importun pour s'occuper de l'affaire Seth, bien plus préoccupante:

- Oui. Tu peux y aller. Nous avons plus important à... gérer.

Kevin se redresse, comme monté sur des ressorts, et tourne les talons pour s'éloigner. Il s'arrête quelques secondes proche de Dane, à qui il paiera totalement une bière une fois cette aventure achevée. Dans ses yeux bleus, une lueur particulière brille: celle des idées un peu folles. Puis, sans un mot de plus, invitant le Chevalier Noir à le suivre, il part.
En direction du tombeau de Thor.

Kevin sourit.
Malgré la situation catastrophique.
Malgré la rage qui l'a étreint il y a peu.
Malgré tout.

Il sourit, parce qu'à ses côtés se tient un allié certain.
Un compagnon, peut-être ?
Un... ami, un jour ?
Le Chevalier Noir.
Dane Whitman.
Rares ont été ceux qui voulaient bien cheminer aux côtés du jeune homme ces dernières années: la cohabitation avec Amadeus Cho s'est extrêmement mal passée, les guerrières des Asgardiens de la Galaxie l'ont considéré... vaillant mais bien bien lourd. Et s'il a tenté de s'améliorer depuis, le destin ne lui a pas permis de nouer de nouveaux liens, jusque là.

- Hé, Dane. On se connaît pas depuis longtemps, et j'ai pas tout fait pour te mettre en confiance; je suis pas facile, mais... mais merci.

Thunderstrike ponctue ses mots d'une maladroite petite tape dans le dos encapée de son camarade en armure. Bien que d'ordinaire un peu bourrin sur les bords et beaucoup au milieu, il ne peut s'empêcher de se demander là si ce n'est pas trop tôt, surtout après ce qu'il a pu dire face à Seth. Face aux Asgardiens. Si cette familiarité, qu'il n'hésite pas à employer au quotidien avec des inconnus, ne risque pas de poser problème...

- Voilà quoi.

Il passe sa main sous son épaisse chevelure pour se frotter la nuque. Petite gêne, qu'il chasse aussi vite que possible en contemplant les grandes tours de pierre funéraires s'élever au loin; le chemin pavé les conduit toujours en direction de l'immense édifice dédié à la mémoire du divin regretté. Sa détermination se raffermit.

- Bon, c'est simple. Galactus arrive. M'étonnerait pas que Malekith et Laufey tentent bientôt un truc, avec Odin qui dort. On a pas la puissance de feu pour gérer ça. Alors... on va ressusciter Thor. Même si je sais pas encore comment. Donc à toi de me dire: grosse ou GROSSE connerie ?

Une vibration, chaude, intense, profonde retentit.
Qui, encore une fois, surprend beaucoup.

VOOOOM

Rangée dans le dos de Kevin, la masse Thunderstrike veut participer à la conversation, et semble elle aussi décidée à tout essayer pour ramener le Porteur de Mjölnir. Le marteau légendaire est en quelque sorte un grand frère, et il lui faut retrouver une main digne de le porter.
Avec un petit sourire, le jeune homme vient poser ses doigts sur l'uru enchanté.

- Ooooooh oui. Voooom.

Enfin, loin des regards, loin des dieux, loin des hommes, loin des éplorés, les hautes portes de la dernière demeure de Thor se présentent aux deux compères, entourées d'éternels gardiens de pierre stoïques, sous un ciel digne d'une fin du monde... ou d'une renaissance.

Le poids de l'univers tombe sur une paire d'épaules pas assez prêtes à l'encaisser.
Kevin fait encore quelques pas avant de se rendre compte de l'immobilité du Chevalier Noir.
Avant de se rendre compte du refus net de Dane Whitman.
Ce qu'il ne comprend pas, porté qu'il est par une fougue malavisée.
Ce qu'il ne veut pas comprendre, surtout. Car si personne ne peut sauver Thor, si le Dieu du Tonnerre ne revient pas... le chaos que le jeune homme pressent est-il bel et bien préférable à l'amitié de quelques Asgardiens engoncés dans leur fierté millénaire ? Kevin était encore sûr de sa réponse il y a quelques instants. Là, le doute naît, bien qu'il compte ne pas le montrer.

D'abord, le regard bleu du grand blond se fixe sur Dane avec une force de détermination totale, avant de se perdre en piètres hésitations au fur et à mesure de l'afflux des pensées. Des questions. De l'inattendu. Du dégoût. De l'abattement.

- Alors... quoi ? C'est fini, là, comme ça ? On le laisse tomber, comme on l'a laissé tomber à New-York ? Je les ai vues, les vidéos amateurs. Celles où on le voit se faire éviscérer. Celles où on le voit se raidir de douleur...

En boucle, en boucle et en boucle veut-il ajouter, mais il n'y parvient pas; sa voix s'efface lentement.
La lueur dans ses yeux en dit bien long, toutefois.

Kevin n'a jamais aimé Thor, comme certains ont pu le faire. Ni le mythe ni l'homme n'ont su le conquérir, et subir constamment de bien rabaissantes comparaisons n'a pas aidé. Mais les premiers pas du deuil lui ont permis de pardonner au héros, suffisamment pour le considérer comme essentiel à l'équilibre de ce monde ô combien insensé. Cette mort atroce, tragique, a laissé une cicatrice, encore une.

- Et en plus, on laisse le monde, les mondes, l'univers à la merci de trucs que seul lui peut arrêter ? On abandonne les peuples qui quémandent l'aide du seul dieu capable de les aider, tout imbu de sa personne soit-il ? Parce que hein, Bill il guerroie, les Valkyries sont occupées et Norvell, il boit.

La colère monte, gronde, et vient atteindre son pic à la mention du comportement inacceptable de Red Norvell, Porteur du Marteau de Guerre, l'une des plus puissantes variations de Mjölnir jamais forgées. Ce flot bouillonnant ne demande qu'à sortir, en explosant; en détruisant tout sur son passage.
Mais...

- Je suis pas d'accord... pas d'accord... mais...

De Muspellheim à Jötunheim, l'humeur de Kevin joue les voyageurs de l'extrême, alors que ses épaules viennent témoigner de son abattement en perdant toute forme de solidité. L'univers qui reposait dessus s'effondre alors. Car le jeune homme, tout fort et bravache qu'il se présente, ne croit aucunement en lui. Et a besoin de quelqu'un, là, pour ne pas voir le monde en noir.

- Je pourrais pas y arriver seul, là. J'y arriverai pas seul. Je vais échouer... et tout casser. Alors... ok, je renonce à cette TROP GROSSE conner...

- Bla... bla... bla. Dommage, ça devenait intéressant.

Une voix grinçante, moqueuse, définitivement désagréable s'élève alors dans les airs.
De nulle part, de partout, impossible d'être sûr.
Jusqu'à ce que des ombres irréelles d'une statue funéraire émerge une forme inquiétante. Qui le devient de plus en plus à mesure qu'elle se laisse découvrir. De très longs cheveux d'os, des yeux à la malveillance digne des sagas, un sourire bien trop amusé, du bleu de nuit, du noir d'encre, du rouge de sang, le tout encre flou d'étincelles d'un des seidr les plus obscurs que le monde ait connu.


Malekith le Maudit.
Qui joint les mains avec une vibrante satisfaction.

- Si on ne peut plus compter sur les humains pour faire d'horribles bêtises, où va le monde, je vous le demande !

Immédiatement, Kevin empoigne Thunderstrike, sans aucune hésitation.
L'adrénaline afflue dans ses veines; la gloire du combat le libère.
D'entre ses dents serrées fuite un bref grognement:

- Quand on parle du loup...

Le sourire de l'Elfe Noir s'agrandit encore.

- Oui, c'est moi.

Il ne laisse pas le temps au petit duo tourmenté de se remettre, de s'activer, et enchaîne directement en se tournant vers l'immense mausolée, qu'il semble dévorer du regard. Une faim féroce, malaisante, effrayante.
Mais Kevin ne cille pas un instant.
Même quand l'odieux sorcier les prend à partie en désignant du menton la cible de son regard.

- Oh, allez, il n'aimerait pas vous voir faire grise mine, non ? Ha ha ha !

iris blancs et sclères noirs se tournent tour à tour vers Thunderstrike et le Chevalier Noir, comme pour évaluer leur valeur. Si le premier est un presque inconnu, il manie un marteau. Le danger est certain. Le second lui rappelle de bien mauvais souvenirs d'Avalon, bien qu'encore une fois la Lame d'Ebène exerce une très séduisante attraction...

- Même si, il est vrai, ce serait à moi d'être attristé, là; Seth ne vous a pas retenu assez longtemps.

Dane Whitman est un guerrier génial.
Il est l'un des meilleurs épéistes du monde, si ce n'est le meilleur, et ses affinités martiales n'ont d'égales que son expérience au combat. Ses adversaires ont été nombreux, très nombreux; tous s'en sont mordu les doigts. Mais malgré tout, il n'est qu'humain. Ses muscles ne sont pas plus forts, ne sont pas plus solides, ne sont pas presque éternels.
Ceux de Kevin le sont.
Et là, en voyant l'arme maudite fendre l'air, prête à prendre des vies, il s'en sert. Il bondit, plus vite que ce que peut capter l'œil humain, plus vite que les sombres occupants de Svarthalfeim, et s'interpose avec force et courage. D'un mouvement agile de son marteau, le colosse nordique impose sa présence, repousse la lame, et s'exclame gravement:

- NON !

Puis, pivotant pour faire face à l'ennemi, il fait tournoyer la masse magique, créant une protection énergétique suffisante pour lancer ces quelques autres mots, lourds de sens:

- Tu craques pas ! Pas contre eux ! Pas sous son regard !

SON regard. Celui de Thor.
Qui dort, près d'ici.
Qui observe depuis son mausolée.
Qui voit son ami se lancer à corps perdu dans une bataille folle.
Qui pleure de le voir avec le fils d'un autre ami, tous deux aussi fous l'un que l'autre.

Kevin ne parvient cependant pas à garder cet air; l'adrénaline le fait sourire malgré la colère, et des petites piques sortent tout naturellement, venant ponctuer les coups de masse. Car oui, maintenant il est temps de se battre. Et c'est tout naturellement que le jeune homme s'est jeté à son tour dans la mêlée, dominant en force et en magie tous ses adversaires, sauf un.

- Te laisser tirer toute la gloire à toi tout seul alors que je peux appeler la cavalerie d'ici ? Impossible, mec !

Et alors, au cœur du champ de bataille, au milieu des corps ennemis entassés, assommés, Thunderstrike s'élève et...
L'air crépite.
Le vent souffle.
L'uru vrombit.
Des étincelles jaillissent.

VWOOOOOOOOOOOOOOOOM

- UNGH !



Du grognement de Masterson naît un éclair colossal. Né du sol, il s'élève dans les cieux comme un phare, déployant dans les nuages une ribambelle d'excroissances, comme un immense système nerveux saturé d'électricité. Nul doute que là, tout le monde l'a vu. Même le dieu aveugle Höd.

Les svartalfars s'écartent le temps d'une seconde, effrayés par la détonation aux relents proprement apocalyptiques. Les assassins les plus chevronnés reprennent immédiatement le combat, mais cela laisse le temps à Kevin de trouver ce qu'il cherche: le chef de cette joyeuse bande d'enflures.
Malekith.
Repoussant tous ceux qui l'empêchent de s'approcher, le grand blond se fraie un chemin jusqu'au Maudit, Seigneur de la Chasse Sauvage. Une fois face à lui, une fois son attention acquise, Kevin plante le bleu de ses yeux dans le blanc de ceux de l'Elfe, et se met à parler, vibrant d'une très grande colère:

Spoiler:

- Vous osez.
Vous osez venir détruire son mausolée pareil jour de recueillement.
Vous osez vous en prendre à un père qui vient de perdre son fils. A une mère qui vient de perdre son fils. A une patrie qui vient de perdre son fils. A l'ami qui a perdu son ami. A un pauvre gamin qui a perdu un repère de plus.
Evidemment que vous osez; vous êtes des monstres.
Et les monstres comme vous ne méritent pas de vivre. Mais nous ne nous abaisserons pas à votre niveau en vous écrasant sous notre botte. Vous devrez affronter la colère du père, de la mère et de la patrie, car c'est ainsi que ce sera juste.

Le sourire de Malekith s'agrandit.

- Comme c'est mign...

- La ferme. Tu vas affronter la mienne aussi.

Pris de court, le Sorcier noir et bleu manque de se faire refaire le portrait d'un coup bien placé, et recule de plusieurs pas pour prendre un peu de perspective sur cet adversaire plus sérieux qu'il n'aurait cru au premier abord.
Le duel a commencé entre les deux guerriers.
Et aucun de deux ne sait réellement qui va s'en sortir.

- Le chiot a des crocs, apparemment.


Le temps gagné par les tueurs aux oreilles pointues s'est révélé fructueux. Une explosion retentit au pied du temple dédié à Thor, des fragments jaillissent, volent et retombent en pluie plusieurs dizaines de mètre autour de la bombe des alchimistes. Un morceau de la façade vacille dangereusement... et s'effondre dans un fracas de tous les diables, provoquant joie et hilarité chez Malekith.

- Ah ! Voilà un son qui me pl...

- RAOUUUUF !

Un rugissement puissant retentit alors.
Qui prend de court tous ceux qui l'entendent.

- Quoi encore ?!

Puis un autre.
Non, pas un rugissement; un aboiement.
Bien vite ponctué des hurlements sauvages des Elfes Noirs.
Des hurlements de rage et de douleur. Et l'odeur des flammes et de la mort.
Et les mots bestiaux prononcés par une créature enfermée par Balder dans les couloirs du tombeau de son frère.

- THORI EST UN BON CHIEN !

- Qu-quoi ?

Un énorme molosse galope au milieu des envahisseurs encore debout, les fauchant d'un coup de tête ou leur mettant le feu d'un souffle ardent. Les yeux rouges de l'animal brillent d'une lueur farouche, celle du guerrier satisfait de voir le sang couler, celle de l'animal enfin libéré de ses chaînes.


- LE MEILLEUR CHIEN MEURTRIER DE TOUT HEL !

Sans attendre, Kevin bondit encore sur Malekith, réduisant l'espace les séparant pour maximiser ses chances de le toucher. L'air siffle au passage des lames et du marteau, il crie de douleur, et implorerait presque pitié s'il n'était pas aussi captivé par l'échange de coups. La force physique du simili-asgardien mis en échec par la subtilité de l'elfe, la fourberie de sombre roi déjouée par la brutalité du protecteur de Midgard.
L'arrivée inattendue de ce gros chienchien fait quand même éclater de rire Kevin, qui continue ses moulinets, parvenant petit à petit à prendre le dessus. L'issue de la bataille approche à grands pas, c'est certain.

- Par les cheveux soyeux de Balder ! Voilà un premier allié de choix !

Le combat est ardu, c'est le moins qu'on puisse dire.
Résonnent au pied du mausolée les chocs du métal, le crissement des armes qui se croisent et se décroisent, et le bruit, plus léger mais bien perceptible, des corps qui s'effondrent au sol, projetés à plusieurs mètres de là par un furieux coup de marteau ! Car oui, Kevin se bat comme un fou furieux, un foudre de guerre, distribuant ci et là mandales surpuissantes et rencontres expresses avec Thunderstrike, sans lâcher des yeux son unique cible: Malekith.
Mais le sombre sorcier s'éloigne, fuit, se réfugie au milieu de ses hommes, tous totalement dévoués à sa cause; impossible, à deux, de franchir ce mur de corps lourdement armés. Ce qui enrage le jeune homme, et fait brûler en lui l'envie de leur donner tort !

Mais l'inattendu vient renverser la partie.
Comme si elle n'attendait que ce moment, la splendide chevelure de Balder pointe le bout de son nez entre les hauts conifères des alentours d'Asgardia. Et avec elle, Balder, bien évidemment. Balder le guerrier. Balder le héros. Balder le roi.

- AH ! Ca c'est bon !

Le roi qui, même s'il l'est en intérim, a quand même quelques avantages associés à cette vilaine couronne qui ceint son front: l'Odinforce... ou la Balderforce, maintenant, peut-être ? Bref... une énergie capable de tout accomplir, de rendre le plus merveilleux des mondes tangible ! Et avec ça, il accomplit un acte fort; l'appel d'un bataillon entier pour régler la menace svartalfar une bonne fois pour toute. Le diplomate sait sortir les griffes quand il le faut.

- CA C'EST BON, ROI D'ASGARD !

La masse enchantée Thunderstrike, lancée pour l'occasion en plein face d'un vilain elfe, est immédiatement rappelée à la main de Kevin, qui presse fraternellement quelques secondes son épaule contre celle de son ami à la lame maudite.
Des fragments d'armures elfiques ruissellent sur l'uru miraculeux, ce qui n'est pas pour déplaire au Masterson qui le manie.

- Allez, Dane, on va leur botter le cul à vitesse grand V !

Et Kevin bondit encore dans la mêlée, comme un diable hors de sa boîte, comme si ses bras le démangeaient, juste à temps pour entendre les premiers grognements, similaires à ceux de Thori... mais dix fois, cent fois plus nombreux ! Une vraie meute de bêtes aux crocs cauchemardesques et aux yeux rouges déferle en une vague inarrêtable sur le chant de bataille. Malekith, profitant de cette diversion ô combien réussie, tente de prendre la fuite. Il s'éloigne en vitesse, le début d'une incantation de téléportation sur les lèvres, alors que Kevin réagit à ce déchaînement de violence; le sang asgardien coule, et celui des midgardiens ne saurait que suivre.
Sauf si...

- Nous dévorer ? NON, JE NE CROIS PAS.

Après avoir peiné à repousser un seul des molosses, Thunderstrike pousse un cri de guerre, une bravade, droit sur ses jambes, l'œil brillant d'une lueur sauvage, le bras lacéré par des crocs gros comme des pouces. Mais peu importe; la douleur passe au second plan, là. Des choses plus importantes se jouent sous ses yeux.
L'honneur d'Asgard est en jeu.
Le tombeau d'un héros cosmique est en jeu.
Et surtout, la vie de guerriers valeureux et d'un ami qui l'est tout autant si ce n'est plus est en jeu.
Alors Kevin se campe sur ses jambes, face à la marée noire d'yeux rougeoyants et de babines retroussées, seul. Le ciel se met à gronder, des éclairs naissent au bout des doigts de Thunderstrike, pour venir se perdre dans le flot infini du marteau. Les yeux du jeune homme se mettent à luire, puis à briller, comme illuminés d'une puissance totale.
Une puissance qu'il n'est pas sensé posséder.

- VOUS N'EN AUREZ PAS L'OCCASION !

Les lumières qu'il commence à émettre, l'énergie qu'il dégage attirent jusqu'à lui les monstres de Malekith, assoiffés de son sang, assoiffés de sa chair.
Mais la volonté de Kevin, quasi-mystique à ce moment là, ne faillit pas.

- VOUS PLIEREZ LE GENOU DEVANT ASGARD. VOUS PLIEREZ LE GENOU DEVANT BALDER. VOUS PLIEREZ LE GENOU DEVANT LE CHEVALIER NOIR. VOUS PLIEREZ LE GENOU... DEVANT MOI, CHIENS DE SVARTALFHEIM !

Un changement s'opère; sa voix devient métallique, mélodieuse, rude, morte à la fois.
Non, pas sa voix. Celle de quelqu'un d'autre, plus âgé, quelqu'un qui n'a pas parlé depuis fort longtemps.
La voix d'un autre héros, Un vrai bien qu'il ne se soit jamais vu ainsi, sacrifié volontairement pour le plus grand bien.
C'est la voix du précédent porteur de Thunderstrike.
Eric Masterson.

- YAAAAAAAAAAAARH !
- YAAAAAAAAAAAARH !

Et lorsque Kevin bondit dans les airs, face à la myriade de chiens noirs qui viennent le déchiqueter, un équilibre semble se trouver; sa voix et celle de son père s'accordent à l'unisson, alors qu'il retombe en abattant Thunderstrike de toute sa puissance.
Non, de toutes LEURS puissances.


VOOOOOOOOOOOOM KRAKOOOOOOOOOM

Des éclairs fendent la terre et la roche, s'élèvent haut dans le ciel accompagnés d'un nuage de poussière ! Le sol ondule et se brise sous les pattes des bêtes, les avalant toutes entières ! L'onde de choc électrique foudroie et repousse les molosses qui ne chutent pas, sans qu'ils ne puissent y faire quoi que ce soit, et Malekith lui même se prend de plein fouet un terrible coup de tonnerre, au moment même où il déclenche un sort de téléportation, pressé qu'il est de quitter cette débâcle.


Et enfin, après, le calme.
Le silence.
La bataille est finie.
Les Elfes Noirs sont en déroute.
Et Kevin Masterson se tient debout, dos aux soldats, dos à Dane, immobile.

Oui, l'ennemi fuit.
La victoire d'Asgard est acquise.
Au prix de nombreuses vies, sacrifiées de leur plein gré pour la défense de leur terre; pour l'honneur de leur prince, lui aussi tombé sur le champ de bataille. Mais malgré ces pertes, malgré le drame de cette journée, une étincelle d'allégresse, le feu de ceux qui ne sont pas encore tombés, s'allume dans le cœur des survivants.
Pas tous, néanmoins.

Le Chevalier Noir tremble.
Au rythme des gouttes de sang dont sa lame maudite s'est abreuvée. Quelques pas supplémentaires sur la voie de la corruption.

Thori tremble.
Il a été un bon chien-tueur. Et il voudrait l'être encore plus. Mais il doit se retenir, pour son maître, sur lequel il veille ardemment.

Balder Odinson tremble.
Ses sujets sont morts; même s'ils sont des soldats, au destin bien hasardeux en ces temps troubles, cela lui pèse. Le fardeau du roi.

Le Trio Palatin tremble.
De fatigue, principalement, mais aussi d'un mélange d'excitation et d'incertitude, en ayant assisté à un terrible déferlement de puissance.

Kevin Masterson tremble.
D'épuisement, il halète, il soupire. Il s'est battu comme un dément lors de cette bataille: un héros pour Asgard, un monstre pour Svarthalfeim, fauchant à tour de bras avec Thunderstrike, gagnant à la fois le respect des vainqueurs et la peur des vaincus. Ses épaules s'apaisent peu à peu, alors que son souffle se calme, retrouve une certaine normalité. Mais pas son cœur. Son cœur s'embrase, et bat fort, très fort, car devant lui se dresse quelqu'un qu'il n'a pas vu depuis près de cinq ans. Une silhouette d'homme floue, presque transparente, un véritable fantôme; Kevin seul le voit.


Son père.
Qui ne tremble pas.
Qui l'observe plutôt. Qui le fixe avec insistance.
Et qui, avec un petit sourire fier, rabat le col de son manteau une fois satisfait.
Puis, quand il s'empare de sa vieille canne, il s'évanouit en une légère brume bleutée.

Sidéré, Kevin met quelques secondes à reprendre pied avec la réalité.
A se remettre de cette vision étrange, qui lui donne autant espoir qu'elle ne le terrifie. Devient-il fou ? La bataille pulsant dans ces veines l'a-t-il atteint à ce point ? Oui, il va en parler avec Dane. Oui, il va partir de ce monde de fous, dans lequel il se sent étrangement si bien, malgré quelques aspects qui le crispent. Oui, il n'a rien à faire à Asgard, même s'il a commencé à s'y plier, à s'adapter, lorsque son corps lui-même a absorbé une partie de la magie de son marteau.
Mais ce n'est pas son monde.
Son monde est ailleurs.
Alors...

- Oui... rentrons.

Spoiler:

Dane Whitman acquiesce lentement, alors que Kevin Masterson accepte.
Il accepte de rentrer.

Il accepte de quitter Asgard. Il accepte de laisser le tombeau de Thor. Il accepte d’abandonner son projet de résurrection.
Il accepte… de se poser. De se reposer. Au moins un peu.

Les salutations sont rapides, et formelles.
Les Asgardiens pleurent leurs morts, soignent leurs blessés. Se crispent devant les dégâts causés au mausolée de leur prince, de leur héros.

Les deux Humains ont beaucoup fait aujourd’hui, et ils en sont remerciés – mais beaucoup de guerriers ne goûtent guère leur présence, ici.
Ils sont de Midgard. Même s’ils sont valeureux… beaucoup les considèrent encore inférieurs.

Le Chevalier Noir fait le gros des petits mots glissés aux proches. Il assure le service après-vente, il gère.
Mais son cœur est lourd, et son regard las.

Il en a vu… beaucoup.
Des journées comme ça. Des combats comme ça. Des sauvetages… comme ça.

C’est formidable, de voir Kevin agir ainsi – mais ça l’inquiète, aussi ; beaucoup.

Parce qu’il sait.
Il sait quel est le prix à payer pour combattre comme ça. Il sait quelle est la charge imposée pour quiconque s’immerge pleinement dans l’utilisation d’un tel artefact.
Eric en est l’illustration la plus brutale… mais lui aussi sent que son lien avec son Epée d’Ebène l’amènera à la même extrémité ; à la même folie.

A la mort.
Après… l’anéantissement de son âme.

Il ne veut pas cela pour Kevin – il l’empêchera.
Il se répète cela, alors qu’il passe dans le Bifrost avec le jeune homme. Il l’empêchera de finir ainsi… de tomber aussi bas.
De faillir. De périr.

Dane le sauvera.
Quel qu’en soit le prix – quelle que soit la malédiction qui va s’abattre sur Thunderstrike.

Une malédiction qui hante d’autres pensées, d’ailleurs.
Notamment celles du nouveau Père-de-Tout… Balder, définitivement le Brave après cette journée.

Lui aussi fixe les deux Humains alors qu’ils partent – et il retient une grimace, désagréable. Il partage l’inquiétude de Dane Whitman, mais n’a pas la même conclusion que lui.

Balder est chargé de la défense d’Asgard ; et des Neuf Mondes.
Mais surtout d’Asgard.

L’Humain vient de les aider, de les sauver peut-on dire ; mais il vient aussi de montrer qu’il manipule une force primaire énorme, extraordinaire.
A laquelle nul Humain ne devrait avoir accès.

Balder s’inquiète, et se crispe.
Car lui n’entend pas tout faire pour protéger Kevin Masterson – il entend tout faire pour protéger Asgard de Kevin Masterson.

Quel qu’en soit le prix.

(HJ/ J’ai ENORMEMENT aimé aussi ! Au plaisir de reprendre très vite tout ça ! /HJ)