Le retour du Dieu du Tonnerre [Libre]

Le Tonnerre est de retour à New-York.

Tous peuvent l'entendre, le voir, le sentir vibrer jusqu'au plus profond de leurs os. L'atmosphère s'emplit d'ozone, des décharges d'électricité statique sont ressenties dans toute la ville, et la terre elle-même semble respirer à nouveau. Comme si elle accueillait un de ses fils parti trop longtemps. Mais... d'une certaine manière, ce n'est pas la première fois que ça arrive, ces derniers mois. Même, ce n'est pas aussi impressionnant que lors du retour de Mjölnir sur Terre. Ce n'est pas aussi grandiloquent que quand Kevin Masterson a acté pour la première fois son nouveau statut non plus, lors de la crise de Hulk.

Cela dit, ce n'est nullement un problème pour celui qui est à l'origine de cet émoi, ce jour. Déjà, parce qu'il n'a pas idée de l'entrée théâtrale de son jeune successeur. Et puis, à près de deux mille ans au compteur, il lui est passé l'envie de gagner le concours de celui qui a le plus gros marteau. Ou pas.

Même après être mort pour la dixième au cours de sa longue existence, Thor reste Thor.

Et puisqu'il n'a ni l'intention ni l'envie d'annoncer son retour en grande pompe, la liesse grandiose d'Asgard lui ayant suffi pour l'instant, il suit en priorité la voie dictée par son cœur: retrouver un à un ses plus proches amis pour leur annoncer la bonne nouvelle. Pour leur annoncer la résurrection du Dieu du Tonnerre. Pour les revoir après cette longue absence.


Première étape: la morgue dans laquelle officie Jane Foster.


A peine est-il entré dans le McCarthy Medical Institute que la jeune femme se jette à son cou. Même sans ses pouvoirs de Valkyrie, impossible pour elle de ne pas repérer les signes, de ne pas les interpréter. Cela fait trop longtemps qu'elle joue le jeu d'Asgard pour ne pas comprendre. Deux longues heures auront été nécessaires pour que tous deux se lâchent enfin, après quelques larmes, des embrassades et beaucoup de joie, elle pour reprendre son travail, lui pour se diriger vers son prochain arrêt: la verdure tranquille de Central Park.

Déjà, des téléphones portables sont sortis pour prendre en photo le revenant, pour partager sur les réseaux le retour de celui que tous croyaient mort.


Là, près d'un étang, entre deux bosquets, Thor dépose une offrande de pain pour les volatiles divers, d'asticots juteux pour les batraciens, aux côtés de la désormais célèbre grenouille du Tonnerre, Throg. Satisfait de savoir le poumon vert de New-York ainsi protégé, il ne s'attarde guère, tant il est fait du même métal stoïque que son émérite frère de marteau; en ne disant rien, tout a été dit. Et puis, cela lui laissera davantage de temps pour deviser avec le plus étrange habitant de Greenwich Village.

Un taxi chanceux s'est vu offert une petite bourse de pièces d'or pur pour un trajet rapide et discret, ainsi qu'un selfie. Voilà bien quelque chose d'incompréhensible pour celui qui a vu l'humanité grandir ces deux derniers millénaires, cette manie de se photographier soi-même.


Mais le 177a Bleecker Street, demeure du Dr. Strange, s'avère terriblement vide. Quelque chose d'anormal a eu lieu, Thor le sent jusque dans ses tripes. Mais c'est leur lot commun, ce qui sort de l'ordinaire. Bien que le Sorcier Suprême ne soit pas un dieu lui même, une petite prière lui est adressée, où qu'il soit. Cela ne peut pas faire de mal... sauf si Tony Stark apprend qu'il n'est que quatrième sur la liste des visites !


Dans les locaux de la grande Tour Stark, le dieu se voit annoncer l'absence de son frère d'armes. Logique: être PDG demande un investissement considérable, en temps comme en énergie, et il doit avouer que Stark s'en sort drôlement bien... pour un piètre humain, évidemment. Alors plutôt que d'occuper indéfiniment le hall de l'immeuble, et éviter que des hordes de journalistes ne viennent envahir davantage le parvis du bâtiment, Thor ne laisse qu'un nom à transmettre, qui saura faire réagir son ami, il l'espère: "Point Break".

Au bout de son petit pèlerinage, interrompu un bref moment pour arrêter la course folle d'une Roxxoncar automatique défectueuse, il s'arrête devant de hautes grilles flanquées d'une lettre iconique.


Le A de Avengers.
Voir ce manoir en miettes, pourtant si riche de souvenirs et d'aventures, noircit son humeur, et le ciel au dessus par la même occasion. De gros nuages sombres viennent couvrir la voûte céleste, en parfaite adéquation avec la colère de leur dieu. Pendant de longues minutes, il reste là, hésitant. Ses yeux azur parcourent chaque dalle fendue, chaque vitre brisée, chaque plaie, chaque cicatrice, chaque marque dans les briques et le béton.

Tout ça pour au final détourner le regard, et soupirer.

Thor est de retour oui, mais dans quel monde ?

L'hostilité dont fait preuve Dane Whitman est compréhensible, compte tenu de l'état encore préoccupant de la bâtisse, dont il sort précautionneusement de l'ombre. Les ennemis des Avengers sont très nombreux, les attaques de ces derniers mois fréquentes, et s'ils veulent construire quelque chose sur la durée, la prudence est clairement de mise. Alors conscient de tout cela, car dans le milieu depuis longtemps déjà, le Dieu du Tonnerre n'en prend pas ombrage, et attend même avec un certain amusement l'étincelle de compréhension dans le regard de son compagnon d'armes de jadis.

Quand elle arrive, et que l'épéiste se retrouve à bégayer de surprise, légitime surprise d'ailleurs, Thor s'avance sans se démonter un seul instant, avec un sourire aux lèvres et son bras droit tendu pour un viril salut de guerrier à guerrier. Ensemble, ils ont combattu sur bien des fronts, contre bien des adversaires, scellant de fait leur camaraderie pour des siècles et des siècles.

- De retour, aye. Même si vous n'avez point besoin de moi pour tout casser. Encor.

Encore, oui. Les QG détruits, c'est presque devenu une habitude pour eux.
A vrai dire, il n'est pas vraiment étonné. Avant que la lame noire de Loki ne vienne triompher de lui, bien des mois plus tôt, il avait perçu les étranges modifications apportées par la défaite de Thanos, par le retour de ceux sacrifiés sur l'autel du Titan Fou. Et quand l'étrange est de mise, la folie guette le moment propice pour éclater, pour tout emporter sur son passage.

Mais apparemment, tout n'est pas noir dans ce nouveau monde, dans cette altérité de ce qui a été, dans ce mystère de ce qui sera: Thor voit avec beaucoup de plaisir une nouvelle lame dans la main de son frère d'armes, bien éloignée de celle qu'il tient d'ordinaire: Excalibur. Lui n'a plus Mjölnir. De ce qu'il a pu comprendre, une nouvelle main d'ami manie le marteau à travers le cosmos. Cette pensée le peine un peu, mais pas assez pour gâcher le moment. Surtout que dans son dos repose tout de même Jarnbjorn, son extraordinaire hache d'uru.

Avec un grand sourire, il désigne l'arme légendaire de Dane d'un petit mouvement du menton.

- Tu as enfin accepté le destin qui est le tien, Chevalier Noir. J'en suis fort aise. Tu me conteras toutes ces aventures, celle des Vengeurs et la tienne, autour d'un ou deux fûts bien remplis, j'y tiens. Un bon ami à moi nous...

Mais il s'interrompt pour tendre une oreille intéressée. Parmi les bruits de la ville, les klaxons des taxis, les sonneries de téléphones, les conversations entre badauds, l'animation quotidienne de New-York, l'un d'entre eux attire toute son attention, car venu des airs.

- Hrm, nous verrons cela en temps et en heure: un grondement familier approche.

Un grondement oui, mais pas celui du tonnerre, pas celui de la foudre; quelque chose de bien plus terre-à-terre, sans mauvais jeu de mots. Entre les immeubles résonne le bruit caractéristique des rétropropulseurs ARC, fleuron de la technologie de Midgard. Le fleuron de la technologie Stark, bien sûr. Ce qui ne peut vouloir dire qu'une chose. Au fond de lui, Thor le savait déjà: avec ce petit message innocent abandonné aux mains de la standardiste de la troisième plus célèbre tour de New-York, il ne pouvait en être autrement, hé !

Dans un flamboiement comme seul lui sait faire, Tony Stark atterrit, revêtu de sa seconde peau rouge et or. Et en musique, maestro ! Puis vient l'inévitable babil du milliardaire, auquel Thor ne prête que peu d'importance, en apparence. Plus sage que dans sa jeunesse, plus sage même qu'après sa première renaissance en tant que Donald Blake, il prend sur lui pour faire plaisir à ses amis. Car malgré leurs différences, malgré leurs désaccords, malgré les conflits qui ont jalonné leur histoire commune, Iron Man fait bel et bien partie des proches du Dieu du Tonnerre. Alors ce dernier délaisse un instant Dane Whitman pour aller offrir aux salutations du génial inventeur une réponse chaleureuse, sous la forme d'une bien nommée étreinte d'ours.

- Le sieur Keanu Reeves vieillit quand même mieux que toi, vieille fripouille.

Dane Whitman est une bonne personne, quoi qu'on en dise, quoi qu'il en pense lui-même. Et cela se confirme à travers le bref résumé des récentes aventures des Vengeurs qu'il livre au dieu du tonnerre ressuscité. Des erreurs ont pu être commises ces derniers mois, des fautes sont peut-être venues entacher le parcours des plus grands héros de la Terre, mais une chose est certaine dans l'esprit de Thor: aucune malice n'a gouverné leurs actions. Et si la foi du fils d'Odin et de Gaïa ne suffisait pas, la présence de la légendaire Excalibur au flanc du meneur actuel de l'équipe termine tous les débats. Ou le devrait, en tous cas.

Une ombre, toutefois, voile le visage princier.

De la peine. Pour ces jeunes héros confrontés à la magie du chaos, mais aussi et surtout pour celle qui en est à l'origine. Thor n'a jamais été aussi proche de la Sorcière Rouge que d'autres de ses coéquipiers, mais son destin l'a toujours profondément attristé. Quelques mois plus tôt, son état semblait s'être améliorer, pourtant; le claquement de doigts du Titan Fou a dû déstabiliser son fragile équilibre psychique.

- Ah. Pauvre Wanda. Le sort ne lui a jamais été favorable. Merci de t'en être occupé en mon absence, Chevalier. Mais maintenant, tu ne seras plus seul, foi de Thor.


L'échange ne peut durer guère plus longtemps, car quelqu'un demande à être le centre de l'attention, avec moult fracas. Quelqu'un avec qui le dieu a l'habitude de traiter. Délaissant l'épéiste un instant, il se retourne donc vers Stark et son babillage, pas encore agacé par le flot infini de paroles que peut générer de nulle part le Bricoleur Suprême.

Ainsi, on ose douter de sa formidable culture ? Il n'a beau pas avoir été le plus fin des élèves dans sa prime jeunesse, plus prompt à batailler qu'à étudier, cela remonte maintenant à des siècles et des siècles. Il y a prescription, comme dirait le sieur Matt Murdock.

- Vous autres mortels oubliez toujours qu'une décade durant, mon âme a côtoyée celle du bon Dr. Blake. Ses références d'alors sont de fait NOS références.

Tout médecin, docteur et intellectuel ouvert aux autres civilisations qu'il soit, Donald Blake n'en est pas moins resté un américain, avec tout ce que cela comporte de culture commune et de précédents bien ancrés dans son esprit. Et tout ce que le bon chirurgien a pu voir, entendre et vivre, le guerrier qui vivait en lui a fait de même. S'il n'en parle guère, c'est surtout par manque d'occasion, et parfois d'envie, tant il est difficile de prendre le temps entre deux crises, ou deux trépas.

Mais ce jour, Thor est bien là, debout et en vie.

Et les occasions de se jouer un peu du sémillant inventeur ne sont pas légion.

Alors, sur un ton d'extrême confidence, le dieu se penche quelque peu en avant, de sorte que seul son interlocuteur puisse entendre.

- Et en réalité, Keanuri V'ss est un Super-Skrull renégat doté du pouvoir de Mister Immortal. Voilà tout. Acteur d'action et proprement immortel, cela n'a interrogé personne, hum ?

Puis il se redresse, sans laisser paraître la moindre inflexion d'humour sur les traits de son visage. Point de sourire, point d'œillade rieuse, un masque de gravité d'abord simulé, ensuite sincèrement provoqué par la légitime question de son retour. De sa résurrection. Ce serait mensonge que de dire qu'il ne s'y attendait pas. Pour autant, et cela se voit, il va le faire, il va l'expliquer, mais pas de gaieté de cœur. Et surtout pas dehors.

Le regard fixé sur l'ancien Manoir Stark à moitié en ruines, Thor va ouvrir la grille flanquée de l'iconique A en grondant:

- Pas ici, au su et à la vue de tous. Entrons.

Une fois les circonvolutions égotiques du plus génial des milliardaires philanthropes américains réduites à un pur concentré d'émotions, Thor se penche un peu vers son ami à l'armure de fer, dans un mélange d'amusement, d'agacement et d'affection, un cocktail récurrent quand il s'agit de ce bon vieux Tony.

- Les civilisations sombreront dans l'oubli, les étoiles mourront, les dieux disparaîtront, mais il est certaines choses... qui ne changeront jamais.

Parmi tous les mortels que le Dieu du Tonnerre a rencontré au cours de sa longue existence, rares ont été ceux d'être aussi dignes que Stark d'être considérés à l'égal d'un immortel. Véritable Héphaïstos des temps modernes, il semble déjà éternel dans l'esprit du fils d'Odin, comme Steve, Jane ou Bruce. Alors naît sur les lèvres du tempétueux un petit sourire, lui aussi très tendre, très amical.

Vite remplacé par une moue de déception, une fois au milieu des travaux de rénovation du Manoir.

- Oh, je préférais les anciens rideaux.

Un petit désagrément vite chassé par la prise de parole de Dane Whitman, dont la langue parvient à rendre bons et sympathiques de bien sombres moments. Thor ne saurait dire si c'est inné chez le Chevalier, ou bien si c'est un talent développé après de nombreuses années à subir encore et encore de lourds revers.

Passer de vie à trépas ne l'effraie guère, si c'est dans la défense d'une noble cause. C'est avec tout son cœur qu'il a combattu NecroLoki ce jour fatidique, jusqu'au bout, et avec une placidité exemplaire qu'il en parle ici.

- Je ne sais point grand chose de vos récentes aventures, Dane Whitman. Mais je me réjouis d'entendre que ma mort a servi si noble objectif.

Pour autant, la mention de son successeur éveille quelque peu son intérêt. Sur Asgard, on lui a évoqué les épreuves d'Odin, l'arrivée de Galactus, la destruction de Thunderstrike et l'avènement de ce nouveau protecteur foudroyant, mais c'est bien sur Midgard que Kevin a fait ses armes. Une discussion autour d'un fût ou deux s'avèrera donc nécessaire.

- Le jeune Masterson, donc. Hrmm.

En attendant, une autre affaire plus pressante attend le dieu du tonnerre. Les mots de ses coéquipiers, autant que leurs regards, l'incitent à parler, à déballer, à raconter une grande histoire de résurrection: la sienne.

- Hrm. Le récit de mon retour, donc. Cette fois, à mon grand malheur, vous n'aurez point de bataille épique à vous mettre sous la dent.

Un soupir suit un grognement, tous deux signes d'une immense frustration. Encore une fois, Thor doit subir les lourdes conséquences de décisions qui ne sont pas les siennes. Malgré des années, des décennies, des centenaires, des millénaires en tant que prince d'Asgard, il ne parvient pas à s'y faire.

- Point de malédiction, mon ami, si ce n'est celle de subir les folies de mon vieux paternel. Ce bougre de Haut-Père a épuisé son énergie pour me ramener, au prix de sa santé. Il profite du profond Sommeil d'Odin depuis, et nul ne sait quand il se réveillera. C'est une catastrophe pour l'intégrité des Dix Royaumes, une situation que Baldur et moi devons endurer, lui sur le trône d'Asgard, moi sur le terrain.

D'un commun accord, les deux frères se sont répartis les tâches essentielles du Père-de-Tout. Thor est devenu le marteau et le bouclier d'Asgard, tandis que le Dieu de la Lumière s'est improvisé figure responsable de la royale gouvernance.

Et c'est bien la première fois qu'ils se sont aussi vite et aussi bien entendus pour quelque chose, d'ailleurs, à croire que ce vieux grigou d'Odin a tout manigancé avant de sombrer dans l'inconscience.