Un bar pour les amener tous, et dans les pintes les lier... [Kurt Darkholme]

La vie de Héros, c'est pas toujours ça.

Des fois, Kevin se dit que c'est ce qui aurait dû être gravé sur la masse Thunderstrike, à la place de "Le Monde A Encore Besoin De Héros". Jeune bien dans son temps, il utilise très régulièrement son smartphone pour communiquer (les SMS de Captain America sont sans prix) et se connecter aux réseaux sociaux. Bien que pas particulièrement addict à cette petite merveille de communication mondiale, il ne peut s'empêcher d'y jeter des coups d’œil par-ci par-là. Et il faut bien avouer que ça ne lui fait pas du bien. Pas du bien DU TOUT, même. En même temps, entre les "APPELEZ DES NETTOYEURS, THUNDERSTRIKE ESSAIE ENCORE DE JOUER AU HEROS", les "Thor pouvait gérer ces bandits dix fois plus vite. #T'esPasThor", les "Si jamais je suis en danger de mort et que Thunderstrike est le seul héros disponible, laissez moi mourir." et le pire de tous: "Je parie que le père de Thunderstrike Jr. est sacrément honteux de son fiston", y a de quoi vouloir abandonner. Y a de quoi vouloir tout jeter et se planquer dans une grosse couverture moelleuse à l'abri des regards, nan ?

Eh bien, non. Pas Kevin. Pas là.
Après avoir géré le cambriolage d'un camion blindé par le Rhino, ennemi récurrent pour lui, le jeune homme est rentré chez lui, dans son petit appart de Manhattan. Le visage tuméfié. Les muscles endoloris. Un filet de sang séché le long de son front. Et deux heures durant, jusqu'à la tombée du jour, il est resté assis devant son ordinateur fermé, meurtri dans sa chair, angoissé dans son esprit à l'idée de l'ouvrir. Finalement, sans même changer de tenue (bien noire et moulante, évidemment), marteau dans le dos et vent d'été dans les cheveux, il est ressorti à pieds. Déambuler dans les rues du cœur de New-York a au moins ça d'apaisant que personne ne te reconnait, même lorsque tu fais deux mètres et que le bord des trottoirs hurle et grince sous ton poids.

La mine renfrognée, il s'est ensuite engouffré dans un bar lambda, ni trop luxueux, ni trop miteux. Le Jimmy's. La clientèle a l'air d'être composée de vieux de la vieille, des habitués de la première heure, mais personne ne semble venir lui chercher des noises. Tant mieux. Alors là, installé au bar, sont conjointement vidées les verres et son compte en banque, avec une méthode et un dévouement qui feraient pâlir d'envie les plus grands buveurs du Valhalla !
Mais la dernière ne semble pas passer. A peine entamée, elle perd petit à petit ses bulles sous le regard vaseux du jeune héros. La soirée ne fait pourtant que commencer... le temps paraît déjà bien trop long. Et trop peu alcoolisé. Vraiment trop peu alcoolisé.
Fait chier.

Les secondes passent.
Lentement. Très lentement. Trop lentement. Elles s'égrènent presque dans l'air, ponctuées par les petites bulles d'agonie de la boisson mourante de Kevin. Tic tac. Tic tac. Tic tac. Il regarde distraitement sa montre, à plusieurs reprises, comme s'il attendait quelque chose, n'importe quoi. Ou pas. Il ne sait pas. Il veut juste oublier, sans vraiment réussir, alors que ses pensées se perdent dans la contemplation des rangées de bouteille derrière le comptoir. Puis dans la gourmette que porte au poignet le potentiel Jimmy, barman de son état. Puis de cette tâche là, bien vilaine, qui obscurcit le bois ancien du bar, juste sous son nez. Ca, c'est sympa à regarder. Ca fait passer le temps. Encore lui, ce filou. Il ne lâche jamais les basques de personne, c'est fou.
Toujours là pour rappeler au monde à quel point Thunderstrike n'est pas assez bien, trop bourrin, pas assez puissant, trop casse-cou, pas assez... pas assez, tout court. Juste pas assez, ou trop, en fonction de qui parle. Aux yeux de quiconque le regarderait là, il a TROP bu, par exemple. Pour lui, c'est PAS ASSEZ encore.
Mais tout ça, toute cette implication quasi-empathique avec le monde qui l'entoure, ce n'est pas assez, et au bout du compte, le jeune homme relève le bout de son nez pour regarder autour de lui dans un réflexe presque bovin. C'est ce qu'on appelle travailler sur son image de marque, dans le métier. Quand il s'en rend compte, Kevin se passe la main sur le visage, et soupire doucement:

- 'chier.

Pas sa meilleure soirée, il est vrai.
Mais enfin, ses yeux sont attirés par quelque chose que l'angoisse et la fuite lui avaient jusqu'alors cachés: du bleu ! Enfin, plus précisément, une fine fourrure bleutée qui recouvre un non moins fin (quoique athlétique)... machin. Bah ouais, c'est taillé en V, ça a des mains bizarres, et un gros tatouage rouge sur la tronche. Franchement, et sans offenses, dur dur de trouver une meilleure définition que machin. Surtout quand on ne sait pas que c'est un mutant, hé !

- Hum.

On a connu plus cool et poli que de dévisager une personne gratuitement. Mais à défaut, c'est peut-être le truc le moins déprimant que puisse faire Kevin ce soir, dans ce bar. C'est ça ou la petite tache sur le comptoir. Le choix est vite fait, la question vite répondue, n'est-ce pas ? Derrière ses mèches blondes, il essaie tant bien que mal de croiser le regard du Diable bleu, histoire d'avoir une bonne raison d'engager la conversation. De sortir de ce marasme dans lequel il s'est enfermé. Hum... presque. Allez, qu'il tourne les yeux un peu plus à gauche... à gauche, pas à droite ! Allez !

La pièce commençait doucement tourner et c'était agréable. Le meilleur moment, c'était quand le monde autour de vous devenait soudain plus lumineux. Juste avant le moment où les sales têtes ne vous revenaient plus. L'équilibre était difficile à trouver.
Les regards appuyés, Kurt y était habitués. Il cumulait les particularités qui font que la discrétion n'étaient pas son fort. Il y avait les discrets, ceux qui prenaient des photos en s'imaginant qu'il ne les voyait pas, ceux qui dévisageaient sans la moindre gêne et trop souvent ceux qui faisaient des commentaires à voix haute. Les derniers étaient les plus pénibles, car les plus difficiles à ignorer.

Au Jimmy's on était sur de l'épiage au premier degré, celui qui se veut invisible mais ne l'est pas. Les œillades aux décolletés des filles, les regards furtifs aux membres amputés. Kurt était habitué, mais pas immunisé contre la sensation d'être une bête de foire. Il y a des jours où il était plus patient que d'autres. Aujourd'hui, il l'était... jusqu'à un certain point.

– Ils ont inventé un truc, la photo, ca permet de profiter plus longtemps.

Oups, peut-être un peu basculé dans la phase "sales têtes".

Tout.
Tout est bon pour se changer les idées, et oublier un peu le monde autour. Même déranger un gus tout bleu, au final étrangement familier. Où Kevin a-t-il bien pu le croiser... ou juste le voir ? Impossible de s'en souvenir. Mais ça reste mieux que de laisser le temps passer jusqu'au moment où il faudra rentrer, seul, dans l'air frais nocturne de la Grande Pomme. Autant saisir sa chance immédiatement, en s'approchant un peu du diable indigo rendu ronchon par l'alcool et ce colosse blond qui vient l'embêter.

- P't-être que je veux pas regarder, mais causer ?

Pis là, ça fait tilt !
Kevin capte enfin ! Ca y est, il sait d'où vient cette impression: s'il le connaît, c'est parce que c'est un mutant ! Bon, trouver le nom est encore au-delà de ses capacités actuelles, mine de rien grignotées par les nombreuses pintes, mais c'est un bon début. Un peu brutalement, Kevin s'avance encore et s'installe près de Kurt, l'air sincèrement intéressé. Par la différence de son interlocuteur ? Par ce qu'il a à raconter ? Pour partager un autre verre, en bonne compagnie ? Impossible de savoir, et le porteur du marteau lui-même ne saurait pas vraiment quoi répondre si on lui demandait. Profitant que personne ne le fasse, il pose son fessier comme il peut, et sourit un peu.

- Z'êtes un X-Men, c'est ça ? Je crois que je vous ai vu à la télé.

Noiraud ?
Non.
Devilman ?
Nan.
Hellboy ?
Boarf, bizarre sans plus.
Non, ça ne revient vraiment pas.
Par contre, le métabolisme asgardien fait son œuvre, et les légères brumes alcoolisées qui ralentissent son esprit s'évaporent vite, très vite. Suffisamment vite pour voir les quelques regards de travers lancés par un petit groupe de loubards, le genre pro-humain à 100%. Mais comme personne ne fait rien, hormis regarder, Kevin laisse passer, et se concentre sur son interlocuteur.

- Je suis pas un grand fan, mais... j'aime bien.

C'est simple et franc.
Pas alambiqué, pas tordu, sans la moindre pincette.
Ce qui cause bien souvent des soucis à Kevin, lorsqu'il l'ouvre un peu trop grand. Comme dans un bar, avec un exilé temporel mutant alcoolisé susceptible d'avoir un syndrome de stress post-traumatique. Bah, tout ne peut que bien se passer, il est Thunderstrike après tout !

Eh bah, quel soiffard.
Vu le nombre de verres vidées devant lui, et les nombreux sans doute retirés depuis longtemps, c'est étonnant qu'il tienne encore debout. Mais c'est un X-Men, un héros ! Et dans toutes les bonnes histoires, les héros tiennent bien l'alcool. Enfin, dans toutes celles d'Asgard en tous cas. Kevin s'en est fait conter un bon gros paquet depuis le temps, et en vient même parfois à raisonner à travers elles plutôt que grâce aux bons vieux classiques terriens. Même si dans ce cas là, ça ressemble plus à une mauvaise journée qu'on essaie de faire passer à grand renfort de picole intensive. Ca se reconnaît, quand on tente de faire la même chose régulièrement.
Mais après, qui est-il pour refuser de payer un verre ? Personne.
Alors le grand blond sourit, en posant sa grosse main sur le bois où reposent les carcasses transparentes, à la substance depuis longtemps absorbée.

- Déjà, oui. Pas de soucis pour la tournée ! Et ensuite, même si on se connaît pas, on est collègues, en quelques sortes.

Son sourire s'agrandit, alors qu'il se redresse un peu en se pointant des deux pouces, l'air ravi. Avec un petit tressautement, ses lunettes de motard retombent sur son torse, assez mollement.

- Thunderstrike !

Il faut dire qu'il a sa petite réputation, le Kevin.
New-York le connaît, à défaut de le reconnaître. Mais cela suffit-il pour que le mutant devant lui en ai entendu parler ? Pas si sûr. Et cela dit, ce n'est peut-être pas une si mauvaise chose...
La mine du jeune homme s'assombrit, alors que tout enthousiasme semble s'évaporer.
Comme s'il se rappelait la raison de sa présence au Jimmy's.

- Mouais, on parle de moi qu'en mal, c'est pas un drame si tu sais rien.

Ce n'est pas tout à fait vrai.
Des rageux, des haters, des victimes, des blasés l'assassinent de tweets cinglants. Concernant les autres... il ne sait pas trop, à vrai dire.
Mais il enchaîne, pour ne pas rester sur cette mauvaise note. Maintenant qu'il a autre chose à faire que boire, autant ne pas lâcher ça ! Alors il tente le compliment. Compliment sincère, hein. Kevin aime bien les mutants, avec leurs particularités, leurs capacités, leur... leur tout, en fait. Ils lui semblent tellement plus... authentiques que les simples humains, qui dissimulent derrière une façade de bienséance leur hypocrisie et la rage d'être de moins briller.

- Z'êtes des héros, oui. Simplement.

Mais Kurt souligne un point important, effectivement.
Il n'est pas celui qu'on voit le plus, malgré de troublantes ressemblances avec l'autre téléporteur des X-Men.

- Ah, oui. T'es plus... sombre que l'autre.

Petit mouvement pour désigner la trogne.
Est-ce qu'il parle de la mine sinistre de Kurt ou des nuances de son très léger pelage ? Aucune idée, mais il ose. Il ose tout. C'est même à ça qu'on le reconnaît, souvent. Mais malgré les nombreux verres absorbés, il parvient malgré tout à sortir quelque chose de plutôt sensé. C'est pas bon, mais quand même. La physiologie asgardienne est puissante, mais parfois pas assez pour le nombre de pintes enfilées précédemment.

- T'es son clone ? Ou alors il est ton clone ? J'veux pas te vexer, hein.

Mais avant que réponse ne puisse être donnée, il se passe quelque chose.
Un gargouillis.
Des cris.
Un mouvement de foule.
Le bar se vide en quelques secondes.
Kevin ne comprend pas du tout ce qui se passe, et il lui faut quelques secondes pour penser à se retourner, tout simplement.

Et une voix.
Une horrible voix, qui vient remuer les tripes de Kevin, alors que l'odeur du sang frais parvient à son odorat surdéveloppé.

- Eh bien, eh bien, eh bien, qu'avons-nous là ?

Des bottes.
Qui claquent contre le plancher.
Et ce sang qui s'approche. Instinctivement, le jeune homme porte la main à son marteau, même s'il sait que rien ne pourra le protéger du souvenir de cette odeur. Ni de cette vision.
Un grand homme en manteau de cuir les dévisage, une main extrêmement griffue et ensanglantée.
A ses pieds, le cadavre du seul vigile du Jimmy's.
Littéralement égorgé.


- Deux proies alcoolisées, à ce que je vois.

Le sourire de cette espèce de bête sauvage s'agrandit.
Dents-de-Sabre est là. Et Kurt ne peut que savoir que c'est pour lui. Que là, maintenant, c'est sa vie qui se joue, après cette énième pinte vidée. Les yeux de Creed ne le quittent pas. Victor est là pour le plaisir de la chasse, et c'est tombé sur lui, dans ce bar miteux.
Joie.
La Bête s'apprête à bondir.

- Et m...

Kevin ne peut finir sa phrase.
La Bête bondit.
Très vite.

- Fais chier.

A la base, c'était juste sensé être une soirée pour oublier.
Une soirée pour faire autre chose, se changer les idées, au moins le temps de quelques heures. Kevin fait souvent ça, ces derniers temps. Ça l'aide un peu. Jusqu'au moment où il faut rentrer et tout se reprendre sur le coin de la courge. L'héroïsme, les destructions, les critiques, innombrables. Pause ! Temps mort, repos, oubli. Il demande que ça. Mais apparemment, les embrouilles collent à la peau. Même quand c'est celles du voisin.
Pis bon, c'est pas une amende pour excès de vitesse là. C'est le grand méchant loup, direct. Avec les griffes, les crocs et l'odeur qui vont bien. L'odeur de chien mouillé, et de sang. Le sang qui prend au nez, qui prend à la gorge. Pouah ! Et en plus, le BAMF qui pue bien derrière. Oh parfait.

Mais... du coup... l'affreux jojo se trouve à côté, à portée.
D'un ample mouvement du bras, Kevin dégaine alors Thunderstrike pour le caler bien dans la tronche du velu, histoire de régler la question pour la soirée.
...
Sauf que non.
Ses doigts se referment pas sur le marteau, et sans l'arme, son bras est trop court pour atteindre le visage de Dents-de-Sabre. Oups.
C'est pas une bonne nouvel...

- Hrmpf !

En effet, le mutant n'attend pas une seule seconde et agrippe illico la main de Kevin pour la lacérer avec un plaisir certain. Les griffes n'auraient été que d'os, ça aurait picoté, tout au plus. Là, elles sont grises. Effilées. Tranchantes. En deux mots comme en mille: en adamantium. Et ça, c'était pas prévu. Genre, pas du tout. Ramenant à lui son bras, et le meurtrier, Kevin glapit de douleur, et fait la seule chose qui lui vient en tête.
Il frappe avec son autre poing.

BLAM

Emportant avec lui un lambeau de chair presque asgardien, Victor Creed se retrouve propulsé à travers tout le bar, en ligne droite, et traverse le mur de bois et de béton comme s'il était en placo. Un nuage de poussière s'élève, et des cris retentissent dans la rue.
Kevin regarde la scène, soupire, et se facepalm.
Avant de se maudire, parce qu'il l'a fait avec sa main lacérée.

- Oh. Fais vraiment chier !

Il a tout cassé.
ENCORE.
Les planches survivantes pendent pitoyablement, et tombent pour certaines, avec un petit bruit tout aussi minable.
Un peu dépité, mais essayant de sourire un peu, il pivote vers Kurt, lqui semble être bien assis sur sa table.

- Heureusement que Damage Control est là, hein.

Le grand blond n'entend pas les bruits de pas rapides, habiles, discrets.
Il n'entend pas non plus le bruissement du tissu dans l'air, typique lors d'un saut.
Par contre, il sent bien, trop bien les griffes s'enfoncer dans ses épaules et son dos, et labourer, labourer, comme si on était en pleine saison automnale.

SCRATCH SCRATCH

Le sang coule.
Cela excite Sabretooth, qui redouble d'intensité.
Bien que pas particulièrement chochotte, sur ce coup, Kevin ne peut retenir un cri de douleur.

- ARGH !

Il essaie frénétiquement d'agripper le sauvage, pour l'arracher de là et lui faire payer au centuple les blessures qui lui sont infligées.