Le conflit de conscience [Libre]

Précisions de jeu:

Attablée à la terrasse d'un café, niché au coeur d'une petite ruelle à l'abri des regards et plantée de quelques arbres à peine bourgeonnants, la cuillère d'argent tourne toute seule dans la tasse à café de Jean depuis au moins cinq bonnes minutes.
Le regard dans le vide, ne semblant prêter attention ni à ce qui l'entoure, ni au café désormais froid au fond de sa tasse, l'une des mutantes parmi les plus puissantes que porte ce monde a l'air totalement abattue à cette minute.

L'éclectisme du Conseil Silencieux devait être une force, mais aujourd'hui... il s'était dissocié plus que jamais. Ils le savaient. Ce jour devait arriver. Ils avaient tous conscience, et ce depuis le départ, que certaines situations seraient nettement plus compliquées à gérer, précisément à cause de ce fameux éclectisme.
Magneto... cette espèce de salo... d'Emma Frost, Mister Sinistre... aucune de leurs réactions n'avait été surprenante. Elles étaient même couru d'avance tant ils étaient tous tellement prévisibles. Non... Le coup le plus dur, le poignard le plus tranchant, celui qu'elle n'aurait jamais cru voir se ficher entre ses épaules... venait sans conteste de Charles.

Et cela... a mis en branle jusqu'à la confiance qu'elle lui portait jusqu'à présent.
Pourtant... ce n'est pas son premier coup, loin s'en faut. Elle se remémore avec une certaine amertume, le moment où il s'était fait passer pour mort, la mettant elle seule dans la confidence et la plaçant dans la position on ne peut plus délicate et désagréable d'avoir à mentir des mois durant à leur entourage, à ses amis, à... lui. A Scott.

Alors... doit-elle réellement être surprise...?
En définitive oui. Car nous parlons bien ici de Phénix. Pas du dernier bâtiment à implanter sur Krakoa. Pas de la dernière idée en date de Magneto, aussi sordide puisse-t-elle être. Non... nous parlons de Phénix. D'un Cosmique. D'un être que nombreux se vantent d'avoir pu contrôler, mais sur lequel ils n'ont en définitive pris le dessus qu'un temps bien trop court et toujours avec des conséquences. Elle y compris. Elle compris... même lorsqu'elle avait délibérément voulu de lui, ce dont son mari s'était bien mis en devoir de lui rappeler. Comme si elle avait pu l'oublier...

Comment Charles... a-t-il pu... Qu'est-ce qui a bien pu lui passer par l'esprit qu'il a pourtant si brillant...

Jean passe distraitement la main dans son ample chevelure rousse, la rejetant vers l'arrière, avant que son front ne s'enfonce au creux de ses paumes, contemplant la tasse et la cuillère qui y tourne toujours d'un air morne.

Elle n'a remercié aucun de ceux qui l'ont soutenue pendant le Conseil. Et si chacun d'entre eux la connait suffisamment pour savoir qu'elle leur en est forcément reconnaissante, elle prendra cependant le temps de leur adresser un mot à chacun. Mais pas pour l'instant. Pas maintenant.

Elle aura uniquement salué Krakoa avant de partir. Elle l'a remerciée avec chaleur, avec émotion. Pour son soutien. Pour sa prise de position. Malgré cela... ils n'ont pas écouté. Ils n'ont pas entendu la mise en garde de leur propre île. De cette entité qu'ils ont pourtant juré de respecter à tout prix.
Là commence le début de la fin. Là sonne le glas de leur royaume. Et elle a un mauvais pressentiment. Un si terrible et mauvais... pressentiment.

Et maintenant... que faire...?

Rester là, les bras ballants, accepter la situation en attendant que les choses dégénèrent, voire tournent au drame ? S'opposer à eux ? S'opposer à la décision du Conseil ? Prendre les armes, créer la dissension au sein de leur propre communauté...? Les diviser...? Il n'est est pas question.

Prévenir les Avengers de la menace qui pèse sur la terre ? Ca serait équivalent à une trahison envers son peuple. A une trahison envers la décision du Conseil. A une trahison envers... lui. Envers celui qu'elle aime plus que tout au monde et qui s'engage sur l'une des pires voies qu'il aurait pu choisir.

Elle ne sait pas. Jean ne sait plus.
D'ordinaire, elle n'éprouve que peu de difficultés à faire des choix. Ils sont parfois bons, parfois mauvais. Mais jamais elle n'a eu à affronter pareille chose aujourd'hui.
Et aujourd'hui... elle ne sait pas. Vraiment pas ce qu'il convient de faire. Ce qu'elle doit faire.

Tout à son conflit de conscience intérieur, l'idée qu'elle a convoqué le Conseil pour orchestrer le procès de son propre époux, dans un sens..., tournant et retournant sans cesse dans son esprit bien agité en cette heure, Jean met plusieurs longues secondes avant de réaliser que c'est à elle que l'homme qui s'est planté devant sa table s'adresse.

Relevant lentement les yeux, elle le dévisage quelques secondes d'un air absent, avant de réaliser qui est celui qui se tient en face d'elle. Dane. Dane Whitman. Chef des Avengers. La pire personne qui pouvait se présenter à elle aujourd'hui, avec Tony Stark et Natasha Romanov. New-York c'est vaste... tellement vaste... Et c'est sur lui... qu'il faut qu'elle tombe.

Prise au dépourvu en pleine nébuleuse de ses pensées, et n'ayant pas du tout vu venir la situation, plutôt que d'arborer son sourire aimable habituel et de lui souhaiter le bonjour comme il vient de le faire, son visage se tend, comme si elle n'était clairement pas ravie de le voir débarquer.
Mais elle semble rapidement s'en rendre compte, alors qu'elle enchaîne une fois que Dane s'est tu et a fait signe au tenancier du café.

- Je... hum... Bonjour Dane. Dit-elle en extirpant un sourire qui n'est pas réellement convainquant, malgré tous les efforts qu'elle déploie pour qu'il le soit.

- Je n'ai pas le monopole de ce café, je ne vois pas pourquoi tu ne...

Jean n'a pas le temps de finir sa phrase que la fameuse personne avec qui Dane a rendez-vous se présente également à elle, claquant deux bises sonores sur les joues du chevalier en jean, cette fois.
Neena.
Elle la dévisage de longues secondes, comme si elle ne l'avait pas vue depuis des siècles, sans mot dire.
S'il n'y avait eu qu'elle... elle lui aurait sans doute expliqué ce qu'il se passait à Krakoa. Ce qu'il était en train de se passer à Krakoa... qui pouvait avoir tant de répercussions sur l'île, sur leur communauté, sur le monde... tout le monde, en définitive.
Mais elle finit simplement par extirper un soupir, plus pour elle-même qu'à destination de son entourage, suivi d'un bref sourire.

- Bonjour Neena. Je l'ai eu par téléphone il y a peu. Mais tant mieux s'il va bien... Dit-elle d'une voix légèrement traînante, semblant plus lui répondre sur la forme que sur le fond.

- Comme j'allais le dire à Dane, je n'ai pas le monopole de ce café. Sentez-vous libres de faire ce que vous voulez sans vous préoccuper de ma présence. Vous aviez rendez-vous tous les deux, après tout.

Jean n'étant pas du tout du genre indiscrète ou à faire des allusions déplacées, il n'y a dans ses mots qu'un simple constat. Ils avaient rendez-vous ici, pourquoi changer d'endroit juste parce qu'elle y est également...? Cependant, et si elle ne le dira pas par correction envers les deux personnes qu'elle apprécie, elle espère néanmoins qu'ils iront s'attabler plus loin.
Car si elle apprécie sans conteste le chef des Avengers, et qu'elle lui doit même une bière par ailleurs, ce n'est vraiment pas le jour à discuter de tout et de rien avec lui. Elle risque fort de ne pas en être capable.

Il se serait passé un peu plus de temps... elle ne sortirait pas tout juste du conseil, qui avait par ailleurs suivi de peu une conversation qu'elle n'aurait jamais pu envisager avoir avec Scott, ou alors dans ses pires cauchemars... elle aurait sans doute pu offrir des expressions et un sourire plus convaincants au beau discours fraternel et amical de Dane.
En d'autres circonstances, avec un peu plus de temps... oui... juste, du temps. Mais de temps, elle n'en avait eu aucun avant de croiser leur chemin. Alors, si elle tente un sourire qui se veut aimable et validant les jolis propos qu'il tient, il semble assez évident qu'il n'est que de façade.

Elle a l'impression d'être revenue des années en arrière. Des décennies... en arrière.
Quand le Professeur avait du brider ses pouvoirs psioniques car ils lui rendaient la vie impossible, l'empêchaient d'évoluer, ne serait-ce que d'avancer... tout simplement. Et, aujourd'hui, le même sentiment de ne pas pouvoir, de ne pas savoir gérer la situation et les émotions qu'elle distille dans son sillage, revient sur le devant de la scène.

Lorsqu'il se penche dans sa direction, en lui adressant quelques mots pas moins amicaux que les précédents, même s'ils sont teintés d'une touche plus personnelle, c'est un léger sourire qu'elle esquisse avant de lui répondre d'une voix douce.

- Merci Chevalier. J'apprécie.

Ce sera tout. Car Jean ne sait pas quoi répondre de plus... alors que, déjà, les cafés et autres boissons gourmandes affluent sur les deux tables, accompagnées dans leur sillage d'un lot gargantuesque de pâtisseries de toutes les couleurs.

Ses paupières se ferment alors qu'elle plonge sa cuillère dans un café tout neuf, tout chaud, alors que celui qui occupait sa table jusqu'à présent est resté froid et intact.
Elle le perçoit bien avant qu'il n'arrive. Elle sent sa présence... l'aura de sa psyché... bien avant qu'il les rejoigne. Parce qu'elle le connait bien. Très bien... même. Warren.
Warren qui ne pouvait pas plus mal tomber non plus. A croire qu'ils se sont vraiment passé le mot.
Elle n'arrive déjà pas à faire bonne figure devant un Avenger qu'elle connait à peine... Neena n'en parlons pas. Alors lui... ce serait une utopie sans nom d'espérer qu'il passe son chemin ou qu'il ne perçoive rien.

- Bonjour Angel. Dit-elle aimablement en posant finalement le regard sur lui.

D'habitude elle l'appelle plutôt par son prénom. Mais ne sachant pas dans quelle proportion il souhaite dévoiler sa véritable identité à Dane, mieux vaut imiter Neena et l'appeler par le pseudonyme sous lequel tout le monde le connait.
Un seul regard de sa part et il sait. Oh... sans doute pas ce qui agite ses pensées. Sans doute pas pourquoi elle arbore une mine qu'elle a du mal à présenter autrement. Mais il sait. Et il va sans doute vouloir savoir. Savoir "pourquoi".

Neena s'assoit à la table de Dane et plante son regard dans celui de l'épouse de Scott. Au départ Jean soutient son regard sans sourciller, comprenant ce qu'elle cherche, comprenant ce qu'elle veut. Ce qu'elle attend d'elle. Mais elle ne semble cependant pas y céder tout de suite. Ne semble pas accéder à sa demande tout de suite. Mais il est évident que Dane va finir par trouver l'insistance de Neena étrange. Et ce n'est pas comme s'il ne connaissait pas au moins une partie des capacités de Jean.

Alors...

Elle extirpe un soupir et hoche brièvement la tête en guise d'assentiment, avant d'ouvrir son esprit et de laisser les pensées de Neena s'y déverser, tout en reposant les yeux sur sa tasse de café.

- Assied-toi Angel. Dit-elle en indiquant la chaise qui lui fait face.

Au point où elle en est de toute manière...

*Si quelqu'un doit partir... ce n'est certainement pas vous, Neena. Mais je te remercie pour ta sollicitude. Il s'est passé quelque chose de grave sur Krakoa. Et autant j'apprécie Dane, sincèrement, autant je ne peux ni ne dois surtout pas en parler devant un Avenger. Car dans ces conditions, il sera le chef des Avengers avant d'être ton ami. Ca ne serait pas rendre service à notre peuple.*

Elle hésite. Elle hésite vraiment. Le canal entre son esprit et celui de Neena est désormais ouvert. Tout ce que la mutante pourrait vouloir lui transmettre lui parviendra aisément. Mais il n'en est pas de même avec Warren pour l'instant.
Warren c'est... délicat. Surtout dans la mesure où Scott et lui ne se sont pas toujours bien entendus, même si elle ignore l'état de leur relation actuellement.
Cependant... il est fort probable que ces deux là se rallieraient à son... camp. Ses lèvres se pincent à cette idée. Alors on en est là... à envisager des clans au sein de leur propre communauté.
Les partisans de Jean, contre ceux... de son mari.

Warren s'installe à sa table et une discussion joyeuse tout autant que légère s'en suit entre les deux hommes, tandis que Jean dessine à Neena les grandes lignes de ce qui n'est que les prémices de toute la complexité qui entoure la situation mutante à l'heure actuelle.

Son attention est cependant détournée de la chance insolente, lorsque Dane repousse sa chaise et se lève, prétextant qu'il a oublié son... tour de garde ?
Les prunelles d'émeraude de la télépathe se posent sur lui d'un air circonspect. Tout comme pour Neena précédemment, elle perçoit cette forte décharge mentale qui provient du chevalier. Un homme qui est pour autant peu enclin à la télépathie, et n'apprécie pas particulièrement le procédé, d'après leurs récentes expériences communes, mais qui, aujourd'hui, fait cet effort, semble t'il. Alors, finement et à sens unique, elle ouvre le canal qui lui permet de percevoir ce qu'il veut lui transmettre.

Ses lèvres s'entrouvrent légèrement de stupéfaction. Par son attention, surtout. Par la délicatesse dont il fait preuve. Alors sans mot dire pour autant, elle le remercie du regard et d'un bref hochement de tête. Jean apprécie qu'il s'efface de la sorte, même si cela la met un peu mal à l'aise, il est évident qu'il vient de lui offrir l'opportunité de parler avec ses amis à coeur ouvert et de les informer de la situation sans plus attendre. En éprouve t'elle donc beaucoup de reconnaissance.

Lorsqu'il a disparu et que Neena les rejoint à leur table, Jean prend une profonde expiration.

- Je le sais Neena...

S'ils avez estimé que son moral n'était pas au beau fixe d'après les signes avant coureurs qu'elle avait bien involontairement renvoyés jusqu'à présent, ce n'est rien en comparaison de la mine qu'elle affiche maintenant que l'Avenger n'est plus parmi eux. C'est un visage rongé par l'inquiétude et la peine qu'elle leur offre comme panorama, alors qu'elle ouvre largement le canal télépathique entre eux, dans les deux sens cette fois.
Si des passants ou les autres personnes attablées plus loin, venaient à jeter un regard hasardeux dans leur direction, sans doute seront ils surpris de l'épais silence qui entoure le trio.


Jean entrelacent ses doigts, alors qu'elle pose son menton au sommet de ses mains tout en fermant étroitement ses paupières. C'est la première fois qu'elle brise la première loi établie à la création du Conseil Silencieux de Krakoa. Et cela ne peut rien engager de bon... vraiment rien. Car c'est bien la preuve que la mutante estime la situation assez problématique pour briser le secret de leur assemblée.


Les mâchoires de Jean se crispent alors qu'elle revoit le visage plat et presque insensible de son époux alors qu'il s'évertuait à lui faire accepter que Phénix était "la" bonne idée, "la" réponse à tous leurs problèmes... il y a quelques heures de cela.


Ses paupières se rouvrent, alors qu'elle pose les yeux sur Neena.


Son regard balaye ses deux amis d'un air las. S'ils s'imaginent qu'elle leur a annoncé le pire, elle risque de les décevoir.


A ces mots, et même par télépathie, la voix qui résonne dans leurs esprits s'obscurcit nettement.


Elle extirpe un soupir puis poursuit son récit.


Les doigts entrelacés de Jean se contractent tellement que ses phalanges blanchissent les unes après les autres, comme si toute circulation sanguine cessait peu à peu.


Elle n'en revient toujours pas. Elle ne comprend... toujours pas... Qu'a t'il bien pu lui passer par la tête à ce moment là... Certes les actes de Charles ont été parfois plus que border line, elle est bien placée pour le savoir. Mais de là à cautionner l'utilisation de Phénix...

La stupéfaction.
Le visage de Neena se crispe, tandis que l'esprit de Warren répète ses mots comme s'il ne parvenait pas à leur donner un quelconque sens. Et dans une certaine mesure, leurs réactions, leur première réaction, la rassure. Jean se les figurait mal avoir une autre attitude face à cette déconcertante nouvelle. Cependant... le revirement de Scott est parvenu à semer le doute dans son esprit et, surtout, dans l'appréciation qu'elle peut dégager en direction de certaines personnes. Si lui... est désormais capable de se ranger du côté de Magneto et Mister Sinistre, et d'envisager très sérieusement employer et conserver Phénix sur leur île... Si même lui... devient capable de changer aussi radicalement, en définitive... tout le monde le peut.
Elle s'est bien trop reposée sur ses acquis. Jamais, au grand jamais, Jean n'aurait imaginé que ce retournement de situation viendrait de son époux. Pas une seule seconde.
Mais... la réalité est pourtant bien celle-ci et il va falloir l'accepter.

Jean les écoute sans mot dire. Chacun d'entre eux. Leurs réactions, leur appréciation de la situation, qui vont toutes dans la même direction que la sienne. Là encore... cela la rassure. Constater que certains ne prennent pas Phénix par-dessus la jambe, estimant qu'il serait si facile de le contrôler en omettant tous les drames qu'il a provoqués par le passé... la soulage. Bien entendu, les votes du Conseil lui ont permis de se rendre également compte que tous n'étaient pas de l'avis de Scott, loin s'en faut et fort heureusement. Mais cela... n'a pas été suffisant pour empêcher Scott de garder Phénix.

- Allons parler ailleurs. Finit-elle par dire d'une voix sans timbre.

Joignant l'acte à la parole, la mutante se lève sans perdre un instant et hèle le premier taxi qui passe dans la petite rue. L'un des avantages de New-York. On trouve toujours un taxi lorsqu'on en a besoin.
Après avoir indiqué l'adresse au chauffeur, le trajet se déroule dans un opaque silence que Jean ne brise à aucun moment. Les nombreux bâtiments de pierre et de verre défilent sous son regard vide, qui semble percevoir bien au-delà, comme si elle ne voyait pas ce qui se trouvait pourtant sous son nez.

- J'ai gardé le petit appartement dans lequel j'habitais quand j'étais plus jeune. L'immeuble appartient à un mutant et le quartier est plutôt tranquille. Leur explique t'elle alors qu'ils s'extirpent du taxi jaune.

- Cela fait bien longtemps que je n'y ai pas mis les pieds... Veuillez excuser le désordre par avance. Poursuit elle alors qu'elle pousse une porte de bois au troisième et dernier étage de la bâtisse.

Loin d'être en bazar, la petite pièce baignée de lumière est plutôt en ordre finalement. La poussière s'est cependant installée où que porte le regard et d'amples toiles d'araignées ont pris leurs aises le long des poutres du plafond.
Jean ouvre en grand les fenêtres qui parsèment les murs de ce qui ressemble plus à un loft qu'un appartement de plusieurs pièces, afin d'aérer un peu l'endroit qui a plus des allures de grenier oublié que de logement.

Une lueur d'or traverse brièvement les prunelles de la mutante alors qu'un mince filet d'énergie brillante se calque contre les murs, recouvrant l'espace ouvert des fenêtres, englobant rapidement toute la pièce dans laquelle ils se trouvent. Son index se pose délicatement sur le mur. Comme si une goutte d'eau venait perturber la surface tranquille d'un lac, l'énergie ondule, ses rayons se propageant doucement tout autour d'eux.

- Nous ne serons pas détectés ni dérangés.

La protection mise en place revient à celle que lui a demandé de leur procurer Neena, à l'échelle d'une pièce. Une fine couche d'énergie protectrice, dans laquelle elle a distillé un peu de force psionique de manière à rendre la barrière indétectable, tout autant que leurs esprits et ce qu'ils vont être amenés à se dire.

- Désolée, je n'ai rien à vous offrir à boire.

Extirpant plusieurs plaids moelleux d'un placard, Jean dispose chacun d'entre eux sur le canapé et le fauteuil de cuir couverts de poussière.
A bien y regarder, on pourrait presque en venir à la conclusion que Jean essaie de retarder le moment où ils devront discuter du sujet épineux qui les a conduits ici. Et pour cause... Ils attendent d'elle qu'elle décide quoi faire. Ce qui peut s'entendre dans la mesure où elle a été la Madeleine de Proust de Phénix des années durant, qu'elle le connait mieux que personne et aussi... dans la mesure où cela concerne son propre mari.

Or Jean... ne sait pas quoi faire.
La décision à prendre est vraiment difficile. D'un côté Scott, de l'autre... le reste du monde. Et elle en vient une fois encore à penser à sa rencontre avec la sage Agatha, qui l'avait notamment alertée sur ce point. Sur le fait qu'une situation qui provoquerait une scission entre ce qu'elle ressent et son devoir envers les siens, pourrait un jour se manifester. Il semblerait qu'elle y soit aujourd'hui.
La vieille sorcière avait-elle eu une vision de l'avenir par une quelconque magie ?

- Je ne comprends pas ce qu'il lui a pris. Lance t'elle dans un premier temps d'un air contrit, répondant finalement aux premiers mots de Warren lorsqu'il s'était étonné de la position de Charles-Xavier.

- Le Professeur a déjà eu des comportements et des actes qui étaient parfois contestables. Mais jamais à ce point et jamais de cet ordre... Je ne comprends pas ce qui a pu traverser son esprit à ce moment, pour qu'il valide la présence de Phénix sur le monde.

Elle poursuit en prenant place sur un coin du canapé, repoussant sa longue chevelure rousse vers l'arrière dans un soupir.

- Tu n'imagines pas si bien dire Warren, concernant la réaction que ne manqueront pas d'avoir certains. Sans même parler de la nouvelle qui serait évidemment très mal accueillie par les groupes de super-héros comme les Avengers, nous avons aussi un nouveau problème qui émerge une fois encore. Je ne sais pas s'il a eu l'occasion de t'en parler Neena... Dit-elle alors que son regard se pose sur la jeune femme. Je n'ai pas eu encore la possibilité de vous en parler non plus, vu la façon dont les derniers évènements se sont précipités. Mais Orchis est de retour. Ils sont parvenus à corrompre Albert et Elsie Dee que Dane et moi avons du affronter il y a quelques jours. Elsie Dee s'est faite exploser, manquant de peu de blesser très gravement Dane. Mais cette explosion nous a permis de mettre à jour une base souterraine qu'ils avaient réhabilitée. Malheureusement l'explosion a pratiquement tout détruit. Les deux sont considérés comme morts, mais le passé nous a maintes fois démontrés que la mort est parfois surfaite. Rien n'est donc moins sûr, tout comme, en admettant qu'ils soient toujours en vie, nous ignorons s'ils se sont soustraient au contrôle d'Orchis. Donc, déjà, Orchis nous pose suffisamment de problèmes comme ça, je vous laisse imaginer s'ils venaient à apprendre que nous sommes en possession de Phénix.

Elle pose quelques secondes de silence après ce débriefing de la situation concernant Orchis, avant de reprendre.

- Je suis de ton avis Neena. Notre communauté doit pouvoir se défendre si besoin. Mais pas comme ça... pas de cette manière... Pas en utilisant Phénix qui risque de tous nous anéantir. J'aimerais croire que Scott peut le contrôler, qu'il en est capable.

Ses mains se rejoignent, alors que ses doigts s'entrecroisent, laissant transparaitre de fines stries blanchâtres alors que ses phalanges se crispent les unes contre les autres.

- Mais j'en doute fortement. Il a beau avoir développé de grandes capacités de résistances face aux pouvoirs mentaux, il n'en reste pas moins qu'il n'est pas capable de manier l'énergie psionique et les pouvoirs qui lui sont affairant. S'il a pu le faire avec Tony Stark, c'est parce qu'il a fait appel aux capacités de Phénix. Tony Stark sait être insupportable, je pense que vous connaissez tous sa réputation, à défaut peut-être de le connaître personnellement. Il est ambitieux, provocateur, arrogant. Mais de là à gangréner son esprit... Non. Nous n'avons jamais agi dans ce sens. Nous n'avons jamais franchi cette limite. Surtout considérant que nous avons été les alliés des Avengers, et que certains d'entre nous le sommes encore. Alors... Scott a déjà franchi une limite et cela n'est pas...

...admissible, se retient elle de rajouter.
Et si Jean se retient, c'est parce qu'une fois que certains mots auront été prononcés, il ne sera plus possible de revenir en arrière.

- Je protègerai vos esprits avant que nous nous séparions. D'Emma... des autres...

Ses mâchoires se crispent alors qu'elle prononce le nom d'Emma, qui n'a pas manqué de jouer à son petit jeu favori avec son époux, tentant bien volontairement de lâcher une huile épaisse et nauséabonde sur le feu, comme elle sait si bien le faire.

- J'ai bien conscience que nous devons prendre une décision. Nous ne pouvons pas... laisser les choses se dérouler sans intervenir. Mais il s'agit de Phénix, et Scott n'est clairement pas disposé à faire un effort. J'ai déjà essayé de le convaincre de me le confier pour que je nous en débarrasse, et le refus que j'ai essuyé était sans appel. Alors... avant de prendre une décision, j'aimerais avoir vos avis.

- En effet. Lâche t'elle brièvement dans un souffle grave.

Jean ne peut qu'appuyer la constatation de Warren par ces deux simples mots. En effet...
Si Orchis venait à apprendre, d'une manière ou d'une autre, que Phénix était en leur possession... les choses iraient de mal en pis. Et dans la mesure où elles s'annoncent suffisamment compliquées comme cela en l'état, nul besoin d'en rajouter une couche supplémentaire avec une organisation de fanatiques anti-mutants.

Le regard de Jean balaye Neena et Warren d'un air las, alors qu'un soupir s'extirpe de sa poitrine.

- Phénix n'a pas encore fusionné avec Scott. Je ne l'ai jamais vu sous cette forme, je n'ai jamais eu à faire qu'à sa version adulte. Mais on peut logiquement considérer que sa forme actuelle équivaut à celle d'un enfant qui ne tardera pas à devenir adolescent, pour finalement achever sa croissance. Et lorsque ce sera le cas, ce sera effectivement bien plus difficile de le séparer de Scott. Cependant...

Un court silence ponctue ces quelques mots, alors que le regard de la mutante se perd dans l'environnement qui les entoure.
Cependant... elle se demande s'il n'est pas déjà trop tard, en définitive. Car Scott tient déjà à Phénix et n'est pas prêt à le laisser à qui que ce soit.

- ...il est probable qu'en l'état actuel des choses, ça n'arrange pas nos affaires pour autant. Car si j'en juge les échanges que j'ai eus avec Scott, il n'est pas décidé à laisse Phénix à qui que ce soit. Ce qui implique...

...que s'ils veulent récupérer Phénix, il leur faudra vraisemblablement affronter l'époux de Jean.

- Il m'a présenté l'oeuf, il m'a montré Phénix. Ma perception... est que cet oeuf est pour l'heure dépendant de celui qui le porte. Il ne semble pas avoir de volonté propre pour le moment, comme si il se contentait de se laisser porter par quelqu'un, en attendant d'éclore et de faire ses propres choix. Il n'est pas impensable d'envisager qu'une fois éclos, Phénix choisisse un autre hôte que Scott. Mais il est aussi plausible d'imaginer qu'il se sera tant habitué à lui, qu'il n'ira pas chercher ailleurs.

L'un dans l'autre, le problème reste invariablement le même. Le problème actuellement n'est pas Phénix... c'est Scott.

Les mots de Neena, sa lassitude, sa fatigue face à la situation présente, serrent le coeur de Jean qui baisse spontanément le regard vers le sol sans vraiment le vouloir. Un réflexe.
Ils leur avaient promis tant de choses... Ils leur avaient promis une terre saine, une terre tranquille où chacun pourrait vivre en paix, loin des absurdités du monde extérieur, loin des tourments infligés par certains humains. Et au lieu de ça... ce qu'elle avait redouté de pire était en train de se produire.
La gangrène venait de l'intérieur même de leur communauté. Sauf... qu'à aucun moment... pas une fois... elle n'aurait pu imaginer que cette scission viendrait de son propre époux.

Jean la dévisage longuement, avec autant de gravité qu'elle la regarde elle-même. Elle écoute ses mots. Avec attention. Avec effroi. Avec tristesse.
Neena a déjà tant souffert, tant sacrifié... Et aujourd'hui, elle est de nouveau prête à offrir sa vie, sa tranquillité, même surfaite, sa vie sur Krakoa. Elle est de nouveau prête à revêtir la cape de l'indésirable, de la pourchassée. Neena est prête à la suivre quoi qu'elle décide.

Jean la dévisage de longues minutes et semble hésiter.
Elle a raison. Jean en a parfaitement conscience. En l'état actuelle des choses, s'élever contre Scott c'est s'élever contre le Conseil. Ca ne sera pas sans conséquences. Jean devra abandonner sa place au Conseil, l'école, Neena sa vie sur Krakoa et Angel... deviendra un paria tout autant qu'elles.

Jean se lève du canapé pour se rapproche de Neena. Dans un premier temps elle ne fait rien de plus, ne dit rien de plus. Elle se contente de la regarder avec une tendresse non feinte. Ce n'est qu'au bout de longues secondes que sa main délaisse son flanc pour s'élever vers le visage de la jeune femme, sa paume se posant sur sa joue.

- Ma chère enfant... Dit-elle d'une voix douce alors qu'un pâle sourire se dessine sur ses lèvres.

- Tu as déjà tant sacrifié... tant souffert... Je ne peux te demander une telle chose. Et Cable m'en voudrait probablement de te laisser devenir une paria.

Elle a manqué de délicatesse. Jean a cruellement manqué de discernement, une fois encore. Elle n'aurait pas du la mettre dans la confidence. Neena a le droit à une vie normale. Elle a le droit de vivre pleinement sa vie sur Krakoa sans avoir encore à sacrifier sa tranquillité. Une tranquillité qu'elle ne découvre que depuis peu.

Alors...

Le regard de Jean brille soudain d'une lueur et d'un éclat que Neena connait bien. Oh elle n'est pas fière... non. Elle n'apprécie pas ce qu'elle s'apprête à faire. Mais c'est nécessaire. Pour réparer son erreur, pour libérer l'esprit de Neena.
La voix de Jean résonne fortement dans la pièce, se répartissant en mille échos qui semblent se heurter contre les murs. Son esprit envahit celui de la jeune mutante sans hésitation.

- Tu vas oublier tout ce qu'il s'est dit sur Phénix, sur le Conseil et sur Scott aujourd'hui.

Sa voix prend plus d'ampleur, alors que les pensées, la psyché, les souvenirs de Neena se modifient selon l'impulsion des mots qui sont prononcés. Guidés doucement vers la libération, délicatement guidés vers l'oubli.

- Nous sommes ici pour parler d'Orchis, uniquement d'Orchis.

Une larme perle dans son oeil, dévalant lentement sa joue alors qu'elle poursuit.

- Tu vas retourner sur Krakoa l'esprit léger pour y vivre ta vie, sans inquiétudes pour l'avenir.

Sa main délaisse la joue de Neena dont l'expression reste interdite quelques secondes. Jean pose alors un regard contrit sur Warren, semblant hésiter l'espace d'un instant à lui faire subir le même sort. Elle déteste manipuler les gens... d'autant plus lorsqu'ils lui sont proches. Mais aujourd'hui... cela lui apparait être une nécessité. Pour elle, principalement.

Angel a beaucoup souffert aussi, mais il n'est pas dans le même cas que Neena qui espérait trouver en Krakoa une terre d'asile. Et puis... ils font partie de la première génération. S'occuper de l'un des leurs est leur fardeau, pas celui de Neena, même s'il semble évident que sa chance leur aurait beaucoup servi dans leur entreprise. Alors ne décide t'elle pas pour lui, comme elle vient de le faire pour elle.
Il prendra sa propre décision. Et si elle doit affronter Scott seule, elle le fera.

En une fraction de secondes les choses reprennent leur cours et Jean répond à la dernière question de Neena comme si de rien était.

- Voici les coordonnées de la base d'Orchis que nous avons découverte avec Dane Whiteman. Dit-elle d'une voix étonnamment posée en griffonnant quelques mots et chiffres sur un bout de papier qui traîne sur la table basse.

Elle le tend en direction de Neena sans ciller.

- Peut-être y découvriras-tu des indices, mais je te préviens... tout a été détruit ou en grande partie et il est probable que les autorités humaines aient bouclé le périmètre. Puisque tu es proche de Dane, il devrait pouvoir t'aider à obtenir une autorisation je pense. Conclut elle en se rasseyant sur le canapé et en s'adossant contre le cuir souple.

Elle a horreur de ça... Elle a vraiment... horreur de ça.